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portante, la première des affaires ; elle ne l’aborde jamais qu’à la dernière heure. Elle est obligée d’expédier au pas de course un budget de plus de trois milliards en se donnant quelquefois le plaisir de bouleverser par un amendement improvisé toutes les combinaisons. Ces jours passés encore, on se plaignait au Luxembourg de n’avoir qu’à la dernière extrémité des crédits supplémentaires pour plus de 100 millions. On touchait au moment où expire le délai pour l’ordonnancement de ces dépenses, — et ce sont maintenant les créanciers de l’État qui seront obligés d’attendre. Ces crédits avaient été cependant déposés au Palais-Bourbon dès le mois de février : la chambre les a laissés dormir trois mois comme elle laisse dormir bien d’autres lois utiles. En revanche, elle est toujours prête à se jeter dans toute sorte d’entreprises scabreuses, de discussions confuses où elle dépasse à tout instant ses attributions et ses droits. Cette majorité ne craint rien ! Tantôt, comme dans la loi des douanes, elle suspend tout simplement la constitution et tente de mettre son omnipotence à la place du jeu régulier des pouvoirs ; tantôt, comme dans ce récent débat sur les syndicats professionnels, elle prétend interpréter les lois et se substituer à la magistrature. À chaque instant, par des propositions, par des motions qu’elle vote quelquefois, qu’elle appuie presque toujours, elle essaie d’intervenir soit dans les détails les plus simples de l’administration publique, soit même dans les affaires particulières. Un jour, on s’occupe de donner à l’État le droit de former à son gré les conseils d’administration des chemins de fer, comme si les compagnies de chemins de fer n’étaient pas des sociétés privées, représentant des multitudes d’actionnaires, s’administrant elles-mêmes ; un autre jour, on a la prétention de décider ce que la compagnie d’Orléans devra faire pour les ouvriers dont elle n’a plus besoin, ou bien on fait revivre un décret suranné de 1848 sur les heures de travail dans les entreprises de transports, comme si ce décret était sérieusement applicable, comme s’il n’y avait pas dans l’industrie des chemins de fer des nécessités de service public, des conditions particulières de travail. C’est ce qu’on appelle le régime parlementaire !

Ainsi vont les choses. La chambre se croit tout permis. Le gouvernement a parfois la bonne volonté d’arrêter au passage quelques-uns des projets les plus crians, et, récemment encore, M. le ministre des travaux publics s’est lestement révolté contre cette manie d’omnipotence universelle ; le plus souvent, on laisse tout passer. Le seul résultat possible est un travail décousu. On improvise des lois, on les modifie, on les corrige ; on y ajoute parfois un supplément qui est une obscurité de plus : l’éclaircira qui pourra ! Un sénateur, qui n’est pas, que nous sachions, un réactionnaire, a dit ces jours derniers le mot : — « Lorsque l’écheveau législatif est trop embrouillé, on renvoie au