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vivre s’accroît dans une situation qui ne cesse de se compliquer. Peut-être y a-t-il des causes générales d’inquiétude et de doute pour l’avenir qui ne sont pas particulières à la France. Il y a aussi, s’il faut le dire, une cause plus saisissable, plus immédiate de malaise dans notre pays : c’est qu’en vérité, dans nos affaires, tout va un peu à l’aventure et qu’il n’y a nulle part ni direction, ni autorité, ni même le plus simple esprit politique ; c’est qu’au lieu de se fixer dans les conditions d’un régime régulier, on confond tout, on justifie plus que jamais le vieux mot en faisant de l’ordre avec du désordre ; c’est qu’enfin il y a un gouvernement qui ne gouverne pas assez et une majorité parlementaire qui, sous prétexte qu’elle est la majorité, s’attaque à tout, touche à tout, contraint le gouvernement à capituler, entraîne le parlement dans toute sorte d’entreprises contre les lois elles-mêmes. De sorte que le pays finit par se demander si c’est ainsi qu’on dure, ce que signifie ce régime où tout se passe en interpellations et en capitulations, où, à la place de la stabilité dont on ne cesse de lui parler, on met tous les caprices d’une omnipotence remuante et imprévoyante.

Voilà le mal qui, loin de diminuer, ne cesse au contraire de s’aggraver, et qui n’a jamais peut-être été plus sensible que depuis quelques jours dans une série de débats improvisés, décousus, pleins de confusion. Il est clair qu’on n’a aucune idée précise ni des droits nécessaires du gouvernement ni de la limite des droits parlementaires. Ce n’est pas que le gouvernement n’ait au fond le sentiment de la situation fausse qui lui est faite, qu’il n’ait parfois quelque velléité de résister, de se garantir un peu des intempérances de l’initiative parlementaire. Il le voudrait peut-être ; mais à peine est-il serré de près, il cède, il rend les armes. On l’a vu dernièrement dans cette discussion de la loi de douane qui continue toujours, où l’esprit de modération libérale n’arrache que de bien faibles concessions aux ardeurs protectionnistes. Certes, c’est pour le gouvernement un droit évident, inscrit dans la constitution, de traiter avec l’étranger, et, par suite, de garder sa liberté de négociation. La commission des douanes ne l’a pas entendu ainsi ; elle a fait ce qu’elle a pu pour enchaîner le pouvoir exécutif, pour annuler son droit, ce droit que M. Gambetta revendiquait autrefois, et qui n’a été que timidement défendu. Où en est-on aujourd’hui ? La question est restée obscure ; le ministère s’est gardé de trop chercher à l’éclaircir, au risque de se désarmer lui-même et de laisser la constitution sans défense. On l’a vu plus récemment encore, ces jours passés, à l’occasion de la loi que la chambre a faite pour régler les conditions d’existence et la composition des syndicats professionnels. Malheureusement cette loi, comme bien d’autres lois d’aujourd’hui, n’est pas claire, elle laisse place aux interprétations des tribunaux, qui ont là une tâche assez ingrate. Quelques syndicats ont été, à ce qu’il paraît, dissous, parce