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parties diverses ; ils se répondent l’un à l’autre, ils sont intimement rapprochés dans la contexture entière du drame. Les hommes de haut rang parlent seuls le sanscrit : rois, brahmanes, ascètes, savans, ministres, etc. ; les gens du harem parlent le mâgadhî ; le bouffon compagnon du roi, le prâtchyâ, etc. Quant aux femmes, elles ne s’expriment en sanscrit que par exception, les religieuses bouddhistes, par exemple. L’héroïne et les femmes de marque s’expriment en çaurasenî. Il y a plus : les femmes qui, dans le dialogue courant, s’expriment en çaurasenî, ont recours au mahârâshtrî dans les strophes chantées. Telle pièce, comme le Chariot de terre, emploie ainsi parallèlement au sanscrit toute une gamme de sept ou huit prâcrits.

Le dialogué est en prose, en général assez coupé et peu prolixe ; tout ce qui est développement, description ornée, est en vers. Dès que le ton s’élève, que le cœur s’émeut, des strophes viennent corriger la sécheresse de la prose. Le héros amoureux prétend-il donner une idée des agrémens de l’héroïne, des agitations de son cœur ? C’est au langage rythmé qu’il a recours. Le messager décrit-il les péripéties d’une bataille ? C’est dans des strophes qu’il en résume les incidens décisifs. Le poète veut-il peindre à l’imagination les lieux où se déroule la scène, les aspects de la saison ou l’heure du jour ? Ce sont des vers qu’il met dans la bouche de ses personnages. Jamais, qu’on le remarque bien, de longues tirades versifiées ; le moule uniforme est la strophe isolée, variable de mètre et de structure ; le poète est libre d’en multiplier le nombre, elles restent toujours séparées les unes des autres, chacune complète dans son individualité.

La musique et la danse s’associent à la poésie. Certaines stances étaient chantées et accompagnées de mouvemens rythmés. Mais nous ne sommes pas renseignés avec précision sur la part qui leur était faite. Elle était certainement inégale suivant les cas, plus large, par exemple, dans des ouvrages particulièrement lyriques, je dirais presque féeriques, comme l’Ourvaçî de Kâlidâsa. Quel qu’il ait été exactement, le rôle qui leur était réservé veut être rappelé. Peut-être conserve-t-il un souvenir des origines lointaines du théâtre. Il marque bien en tout cas ce caractère de divertissement lyrique qui, à tout prendre, rapproche peut-être le théâtre indien de notre opéra comique plus que d’aucune autre des formes dramatiques qui nous sont familières.

La nature des sujets convient assez à cette comparaison. Le théâtre indien s’est proposé les thèmes les plus divers : héroïque et érotique, lyrique et comique, bouffe et larmoyant, il met également en scène des épisodes épiques, des épopées entières, des amours royales et des anecdotes de harem, des histoires