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pendant vingt-cinq jours sous un régime idéal : tous les services publics fonctionnant régulièrement et les citoyens exempts de toute charge : pas de droits de douanes, pas de droits de timbre et d’enregistrement, pas de contributions mobilières, pas même l’obligation d’affranchir les lettres.

La situation s’aggravait chaque jour, et de dangereuses manifestations ne tardèrent pas à éclater. À Iquique, le port du salpêtre, des milliers de mineurs et d’ouvriers de la corporation des chargeurs abandonnèrent leur travail pour se livrer à de bruyantes manifestations. À Valparaiso, le plus grand port du Pacifique, à l’occasion des meetings des deux partis, s’engagea dans les rues une lutte générale que la police fut impuissante à réprimer. Il resta sur le carreau plusieurs morts et plus de quatre cents blessés.

En face d’une telle situation, les hommes les plus considérables de Santiago, par leur position sociale, par leur richesse et par leur qualité de membres de l’Université, du barreau et du corps médical, s’assemblèrent non pour protester et faire acte de partisans, mais pour adresser à M. Balmaceda l’avis des représentans de l’ordre, des sages, des hommes sans passions, sans parti-pris, et pour lui montrer la nécessité de sauver le pays, en faisant appel à son patriotisme. M. Balmaceda reçut froidement la délégation des six citoyens nommés par cette réunion, et sans donner aucune promesse, se contenta de se plaindre de la majorité des chambres en rejetant sur elles la responsabilité de la situation.

Cependant, un peu plus tard, M. Balmaceda revenait sur ses pas et acceptait la médiation de l’archevêque de Santiago. Après plusieurs conférences on arriva au résultat désiré. Un ministère composé d’hommes éloignés depuis quelque temps des luttes des partis, quoique d’un très grand mérite prendrait le pouvoir, en adoptant comme programme de gouvernement la neutralité et l’abstention la plus absolue de toute influence officielle dans les prochaines luttes électorales. Ce fut ainsi qu’on arriva à la constitution d’un ministère parlementaire, sous la présidence de M. Prats, homme remarquable, ancien président du cabinet pendant la guerre du Pacifique et ancien président de la cour suprême de justice. Le parti conservateur, pour la première fois depuis vingt ans, y était représenté et obtenait un portefeuille. Tout sembla arrangé : les chambres votèrent la loi de finances. Le pays tout entier manifesta sa satisfaction et rentra dans sa tranquillité habituelle. Mais, malheureusement, il ne tarda pas à être de nouveau désabusé : bientôt les nouveaux ministres durent reconnaître qu’ils n’étaient pour rien dans le gouvernement, et que M. Balmaceda, les laissant de côté, s’entendait directement