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et aux sévices. Le courtier qui sonne à la porte des misérables pour toucher la prime hebdomadaire, quelques pence, laisse en même temps au logis le germe des tentations mauvaises, tout un ferment de perversité et de bassesse. L’idée du crime à commettre se lève, grandit lentement, repoussée d’abord, puis tolérée, acceptée enfin, tant elle est tenace et obsédante. « Vous n’avez rien à craindre, murmure la voix intérieure ; affamez vos enfans, maltraitez-les, n’appelez de médecin que lorsqu’il n’y a aucun espoir de les guérir; faites-les mourir, en un mot, et, au lieu de donner de l’argent, vous en recevrez. Au besoin, hâtez la catastrophe finale par l’introduction dans l’estomac du malade de poudre aux rats (cela s’est vu) ou de sirops empoisonnés. La compagnie paiera, heureuse même d’en tirer réclame et de coucher sur les prospectus qu’elle distribue les noms de ceux qui auront passé à sa caisse. » L’agent d’assurances n’attache, en effet, aucune importance au décès de sa jeune clientèle. Évidemment, si les pratiques dont nous parlons prenaient une extension excessive, les sociétés ne manqueraient pas de s’en alarmer et d’exercer sur les opérations de leurs représentans un contrôle plus rigoureux. Mais nous avons à peine besoin de dire que la majorité des contractans est honnête et que les autres, ceux qui constituent l’exception, ne sont pas assez nombreux pour mettre en péril la prospérité de l’entreprise; au contraire, ils deviennent, entre les mains des puffistes, comme une sorte d’appeau à attirer la foule, une preuve vivante que les transactions sont loyalement conduites et que l’argent est réellement compté aux familles, en cas de malheur. « Un enfant mort? disait à M. le révérend Benjamin Waugh un de ces étonnans industriels, il n’y a pas de meilleure amorce à nos lignes de pêche. — Au lendemain des enterremens, affirmait gravement un deuxième, il nous vient plus de monde que jamais. Contesterait-on, par hasard, que nous soyons d’honnêtes gens parce que nous prenons au ralentissement ou à l’activité de nos affaires un intérêt légitime? » Quoi de plus naturel que ce langage, et comme on s’explique que les compagnies n’y regardent pas de trop près! Elles se gardent bien d’élever des difficultés, de chicaner, de reprocher à tel ou tel de leurs mandataires l’acceptation trop facile de cliens suspects. Somme assurée, commission de l’agent, elles paient sans hésitation, les cliens honnêtes et les polices périmées dont les versemens restent acquis formant la contre-partie très rassurante des cas où il y a eu abus de confiance. D’ailleurs, répétons-le bien haut, nous ne parlons ici que d’une minorité, puisque des calculs auxquels s’est livrée la Société nationale, il ne résulte pas que le nombre des victimes dépasse un millier par an. Il est vrai que