Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/900

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Encore une dépêche télégraphique au « receveur. » Brillante affaire, cette fois ; on n’en a pas tous les jours de semblables.

Voyons maintenant quel est l’accueil qui attend les infortunés à la campagne. Des commissaires de la Société pour la protection de l’enfance en ont découvert cinq dans une pièce large de deux mètres carrés et située au rez-de-chaussée d’une misérable chaumière. Trois d’entre eux rampaient sur le sol, couverts d’immondices. Un autre, fortement attaché à une chaise, était dans l’impossibilité de se mouvoir. Le cinquième gisait dans une baignoire. La chambre était d’une saleté horrible, et si puante que les témoins de ce spectacle, pris de nausées, reculèrent. Bien qu’ils fussent déjà grands, aucun des enfans ne pouvait marcher, un seul parvenait à se tenir debout, accroché aux meubles. Pas de feu, quoiqu’on fût en mars. Ces petits, nus ou peu s’en faut, étaient jaunes, émaciés, rachitiques, incapables de crier, étant trop faibles. Il fut impossible de découvrir le moindre aliment dans la maison. A côté, un homme et une femme contemplaient d’un œil sec ce tableau navrant, cette décomposition rapide de la jeunesse et de la vie. Oui, c’était là leur commerce, une manière pas fatigante de gagner leur pain ; après ces martyrs, il en viendrait de nouveaux, puis d’autres, d’autres encore qui occuperaient les places vides, et, sacrifiés d’avance, disparaîtraient à leur tour dans l’ombre muette du cimetière. On pourrait multiplier à l’infini les descriptions de ce genre ; ces prétendues fermes se ressemblent, toutes sont organisées pour rendre impuissantes les résistances de la santé et de la force. Dans un logement également tenu par un ménage et composé d’une chambre unique, on découvrait récemment quatre enfans atteints de maladies graves; sur le plancher, le couple étendu côte à côte; sur le lit, un baby mourant, affreux à voir, avec des plaies vives autour des yeux dont on ne s’expliquait pas la provenance, mais que le maître du logis attribua à la présence d’insectes rongeurs dans la pièce. Quand l’enfant pleurait, — et il pleurait, assura depuis un voisin, toute la nuit, — on lui jetait des vêtemens à la tête pour le faire taire.

Tels sont les vertueux habitans des champs à qui la procureuse des villes adresse les êtres qu’elle parvient à obtenir de la faiblesse, de l’ignorance ou de la perversité des parens. Les femmes qui pratiquent ce métier vivent généralement dans le monde des filles. Elles évitent d’écrire, ne communiquent que par le télégraphe avec leurs associés de la campagne. L’une d’elles, dont les manœuvres ont été découvertes dernièrement, envoyait dans la même semaine deux dépêches à Swindon et à Yarmouth pour annoncer aux complices qu’elle avait là-bas l’arrivée de deux enfans, habillés avec une élégance charmante et appartenant évidemment à la classe