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Tout ce qui nous vient d’une vieille et puissante civilisation, comme celle de l’Inde, qui s’est montrée féconde en œuvres intellectuelles de plus d’un genre, est digne au premier chef d’intéresser ceux que passionne l’histoire de l’esprit humain. La littérature dramatique y a des titres particuliers. Partout où elle s’est épanouie, elle est une œuvre de maturité, une forme caractéristique entre toutes. Le théâtre se plie aux idées et aux tons les plus divers ; imitation directe de la vie, il reflète, avec les dons plus ou moins heureux du génie qui l’a créé, les traits essentiels de son individualité. Son organisme compliqué concentre, en quelque façon, les aptitudes diverses qui ont pu se donner carrière d’abord dans des formes plus spontanées. Ses défaillances ne sont pas moins instructives que ses mérites.

Ai-je besoin de dire que je ne me propose pas d’envisager ici, même en une vue sommaire, tous les problèmes que le théâtre indien ne peut manquer d’éveiller, jusque dans les esprits les plus neufs ? À qui prétendrait en examiner tous les ressorts, y étudier le jeu et l’allure des sentimens, mettre en relief les qualités ou les faiblesses des principaux poètes, ce sont des volumes qu’il faudrait. Mon ambition n’est point si vaste. Le lecteur qui se sent mal à l’aise dans le domaine de la fantaisie pure, qui éprouve le sage besoin de classer ses impressions dans le temps et dans l’histoire, est assez dépourvu en présence des spécimens de la scène indienne que la traduction met à sa portée. Je voudrais me prévaloir, pour l’orienter un peu, de l’occasion excellente que m’offre le livre de M. Lévi. Il me semble que, de ce point de vue, trois questions surtout doivent fixer notre attention. Nous sommes avant tout intéressés à déterminer la physionomie générale de ce théâtre et à préciser quelle idée les Hindous s’en sont formée eux-mêmes ; à lui assigner son caractère vrai, en le plaçant à son rang dans la chronologie littéraire ; à démêler enfin de quels élémens il s’est constitué. La pratique du théâtre, l’histoire littéraire du théâtre, les origines du théâtre, tels sont justement les trois aspects principaux qu’envisage la thèse de M. Lévi. Mes appréciations ne seront pas toujours d’accord avec les siennes. Ces divergences ne surprendront personne en une matière si délicate et encore si nouvelle. Elles ne font, à coup sûr, dans mon esprit, aucun tort à un travail qui honore l’indianisme français.


I.

Les pièces dès maintenant imprimées ne sont pas très nombreuses ; mais ce sont, en somme, les plus célèbres. Dans le nombre figurent celles que tout nous autorise à considérer comme les plus