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II.

La Société nationale pour la répression des actes de cruauté envers l’enfance, qui s’est fondée à Londres il y a six ans, sous le patronage de la reine, a déclaré une guerre acharnée aux individus de toute espèce et de tout rang qui cherchent dans les deux industries dont nous allons parler leurs moyens d’existence. Le but que cette grande compagnie philanthropique s’est proposé d’atteindre n’est pas de procurer un abri ou du pain aux enfans qui en manquent, les associations privées et la charité officielle suffisant à peu près à cette tâche ; elle a entrepris de découvrir d’abord, d’avertir ensuite, finalement de poursuivre et de livrer à la justice les parens coupables de barbarie envers les garçons ou les filles dont ils ont la charge. L’année dernière, elle a fait incarcérer 468 personnes que les tribunaux du pays ont frappées de quatre-vingts ans de prison. Que de souffrances endurées, de hontes bues, de misères de toutes sortes, ne représentait pas ce chiffre élevé d’enquêtes et de procès! la moyenne de l’âge des victimes établissait que les sauvageries du père et de la mère s’exerçaient de préférence sur les tout petits. Les basses classes n’étaient pas les seules qu’une fureur criminelle poussât à maltraiter les enfans. Des artisans de métier, ouvriers habiles, presque bourgeois, s’étaient signalés par une brutalité persistante envers les leurs. On constatait avec humiliation que ni l’éducation, ni le taux élevé des salaires et le bien-être qui en résulte, ni les fréquentations qui moralisent et purifient, n’avaient d’action sur certaines natures portées à la méchanceté comme d’autres le sont à la miséricorde et à la tendresse. Tout en bas, à l’extrémité inférieure de l’échelle sociale, l’oisiveté, la débauche et l’ivrognerie avaient altéré les meilleurs instincts, transformé les êtres en brutes féroces. Tantôt il s’agissait de petites filles en haillons, envoyées à onze heures du soir, par une tempête de neige, chez le marchand de charbon ou de bière. Ici, c’était un jeune aveugle dont le père, pour plaisanter, dirigeait sur un fer rougi les mains tâtonnantes. D’affreux parens étaient convaincus d’avoir infligé à un malheureux de dix ans le supplice d’une nuit passée dans une cave étroite, peuplée de rats. Une mère, ayant brisé d’un coup de balai le bras de sa fille, n’en obligeait pas moins celle-ci à laver le plancher tout en continuant de la battre parce que l’ouvrage n’avançait pas. Et d’autres abominations encore, des infortunés pendus par les mains à un clou du plafond et battus de verges dans cette horrible position, des petits de quatre ans placés, les cuisses nues, sur les plaques brûlantes du foyer.