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En Angleterre, l’État assume la charge de nourrir et de loger le malheureux dénué de tout. En fait, il se dérobe, autant que possible, à la responsabilité qui lui incombe en imposant à sa clientèle des conditions si difficiles à remplir que le solliciteur, découragé, s’éloigne de ces établissemens de bienfaisance où, s’il faut s’en rapporter au cri public, il ne rencontrerait que sécheresse et dureté. Aucun Anglais ne peut réclamer une part, si minime qu’elle soit, de ce fonds des indigens que les contribuables britanniques alimentent sans murmurer chaque année, s’il est constaté qu’il a encore quelque chose à lui. Pour avoir droit à l’assistance, il faut qu’il soit établi qu’il ne possède absolument rien. Lorsque la détresse, les privations prolongées l’ont obligé à se défaire pièce à pièce des objets les plus indispensables, lorsque son linge, son matelas, ses ustensiles de ménage ont pris, pour ne plus revenir, la route du mont-de-piété ou de la salle des ventes, quand tous ses efforts pour obtenir un emploi ont échoué devant les prétextes des uns ou l’indifférence des autres, bref, quand la misère l’a si radicalement dépouillé que les habits qu’il porte, — et quels habits! — Constituent son unique propriété, alors, mais alors seulement, l’administration daigne lever les yeux sur lui. Elle s’assure que l’homme est bien en règle, qu’il n’a rien gardé, qu’il n’a cédé à aucun sentimentalisme ridicule en conservant en cachette quelque souvenir touchant d’une femme morte ou d’un enfant disparu, et gravement elle lui délivre le secours à domicile dont la valeur, moitié en argent, moitié en nature, dépasse rarement cinq francs par semaine. Mais si la chute est profonde, s’il n’y a pas apparence que le malheureux puisse se relever un jour, c’est le workhouse à perpétuité. Autrefois, la majorité des pensionnaires de ce bâtiment se composait d’individus de cette classe. L’asile paroissial abritait indifféremment, derrière la double enceinte de ses hautes murailles, les misérables de toutes catégories, mendians, paresseux invétérés, ouvriers honnêtes vaincus par l’adversité. Aujourd’hui la proportion semble renversée. Peu à peu le service médical des établissemens de ce genre a pris une réelle importance. A Liverpool, le workhouse situé à l’entrée des quartiers pauvres compte 3,000 habitans, la population d’une petite ville, dont 2,400 malades. Les frais de médicamens atteignent 100,000 francs par an. Il y a des dortoirs et des salles pour les phtisiques, les blessés de la rue, les aliénés et les ivrognes qui en sont à la période du delirium tremens. Quant aux résidens valides, ils ne sont guère plus de 600, vieillards hors d’âge, matrones ou filles plusieurs fois condamnées, fainéans incorrigibles. Le travailleur anglais a l’horreur instinctive de ce lieu funèbre. S’il existe en lui quelque ressort, si sa dignité personnelle n’a pas entièrement