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châtiment, seront rendus aussi légitimes. La peine alors pourra être considérée comme l’équivalent du repentir. Le repentir est la peine intérieure du coupable qui se condamne lui-même; la peine est le remords imposé du dehors au coupable condamné par autrui. L’un est requis à défaut de l’autre. Quand il se trouve un criminel qui se repent à fond, qui souffre intérieurement et est bien aise de souffrir ainsi à cause de sa faute, on devrait ne pas le punir si l’abus d’un tel précédent n’était à craindre. Or, qu’est-ce que le remords? C’est la douleur sui generis que j’éprouve à reconnaître, en songeant à une faute de mon passé, que mon moi actuel est la continuation de mon moi antérieur, malgré la différence sentie des deux. Cette souffrance m’atteste en même temps que ces deux personnes sont la même personne et qu’elles sont différentes ; ce qui est le mystère habituel et courant des choses. Elle accompagne l’effort par lequel j’expulse ou je tâche d’expulser de mon domaine actuel, de mon mien présent, ce souvenir poignant, pour éviter toute rechute ultérieure. Mais en quoi ce désir d’expulsion, d’épuration personnelle, pourrait-il être supprimé ou même diminué par la croyance au déterminisme intérieur? Loin de là, je rougis d’autant plus de mon acte passé, que je me crois plus sûr, si une tentative pareille se présente, de n’y pas retomber, conviction qui est la négation de ma liberté dans l’avenir. De même, plus nous sommes convaincus qu’un de nos ennemis, à raison de sa haine et de sa méchanceté, n’a pas pu ne pas nous faire volontairement le mal qu’il nous a fait, et plus nous nous sentons justement indignés contre lui. Au surplus, les positivistes italiens qui, sous prétexte qu’ils sont déterministes, nient le devoir et la culpabilité, contestent le droit à l’indignation et à la réprobation, de quel droit admettent-ils la légitimité de la reconnaissance et recommandent-ils la pitié? Si le soulèvement des cœurs contre un assassin est irrationnel, pourquoi l’explosion de la reconnaissance publique envers un grand bienfaiteur, ou de l’admiration générale pour un homme de génie, le serait-elle moins? Qu’est-ce que ce scrupule de flétrir un voleur ou un meurtrier et à plus forte raison de prononcer le mot rebattu de vindicte publique, chez certains publicistes qui, dans leurs polémiques, dans leurs vendettas de plumes acharnées, s’échauffent si fort? Ne serait-il licite de s’indigner que contre les honnêtes gens ?


III.

Une autre condition, ai-je dit plus haut, est exigée pour que l’indignation dont il s’agit soit naturelle et justifie la pénalité où