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sur la moralité ou l’immoralité des actions. En faisant le mal, donc, ils sont forcés de se condamner eux-mêmes, ou bien ils ont commencé par là avant qu’une longue accoutumance du crime ou du vice ait étouffé en eux tout sens moral. Rien de semblable chez les dissidens intellectuels ; ceux-ci jugent vrai ce qu’ils croient, tandis que les autres jugent mauvais ce qu’ils font. Il n’y a donc pas à les confondre. Je conviens qu’il est irrationnel de s’indigner contre un sectaire, contre un délinquant politique, qui commet de bonne foi, en croyant faire une action louable, un acte qualifié crime par la loi, comme il est irrationnel de s’irriter contre quelqu’un qui se trompe de bonne foi. Mais il est rationnel de s’indigner contre un malfaiteur comme de s’irriter contre un menteur, soit qu’il mente à autrui ou qu’il se mente à lui-même en se faisant suggérer par son propre cœur des croyances de complaisance adaptées à sa justification. Dans une certaine mesure, en effet, — comme les théologiens n’ont pas manqué d’en faire la remarque, — on croit parce qu’on veut croire; et, dans cette même mesure, on peut être réputé blâmable de ses erreurs intéressées.

Ainsi entendue, la question de la responsabilité morale, ce nous semble, s’élucide et se complique à la fois. Elle est plus claire, parce que les notions qui lui servent de fondement le sont aussi. Elle est plus complexe, puisqu’elle a trait non à une abstraction, à un acte pris à part, soustrait à toute son atmosphère intérieure ou externe, mais à une réalité concrète et vivante. Il s’agit d’une responsabilité relative et variable qui ne méconnaît pas la solidarité de toute une existence dans le crime d’un instant, ni la demi-complicité de tous dans le crime d’un seul. Étant réelle, elle comporte des degrés sans nombre. La responsabilité fondée sur le libre arbitre, au contraire, si l’on veut être logique, n’en comporte pas. On est bien, il est vrai, plus ou moins fort; mais la force qu’on a ne peut pas être plus ou moins non déterminée en agissant. Elle l’est ou elle ne l’est pas ; il n’y a pas de milieu. Si l’on peut être dit plus ou moins libre en un sens, cela signifie que le champ de manœuvre de l’indétermination, le nombre d’actes où elle peut s’exercer, s’élargit ou se resserre; mais, relativement à un acte donné, elle est tout entière ou elle n’est point. Ce n’est point là le caractère d’une réalité vraie.

Mais revenons à la notion de l’identité personnelle. En résumé, pour que mon acte me soit imputable, la première condition est qu’il appartienne à ma propre personne ; ce n’est pas le cas des actes produits sous le coup de ces « maladies de la volonté et de la personnalité » si bien étudiées par M. Ribot, quand une sorte d’âme parasite, qui traverse et trouble comme une comète mon