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d’emporter son butin, et sa répugnance à verser le sang. Quel que soit son choix, sa détermination sera bien à lui, et, comme telle, très coupable dans un cas, quelque peu méritoire dans l’autre.

C’est une erreur de regarder la personne comme simplement spectatrice des combats qui se livrent en elle et qui sont elle ; le déterminisme ne dit point cela, on le lui fait dire à tort; il permet de penser, on vient de le voir, qu’elle est actrice dans ses guerres civiles ou ses discussions intestines, animant les deux parties ensemble à poursuivre le rétablissement et la consolidation de son équilibre rompu. Mais, quand un despote ou un bourreau violente ma volonté, c’est alors une guerre extérieure qui s’engage entre lui et moi ; si je lui résiste, ma décision est mienne ; elle ne l’est pas si je lui cède de force, elle appartient à ce tortionnaire comme l’acte de la somnambule à son hypnotiseur. Ici, s’élève, à la vérité, la question de savoir si j’ai pu résister, mais cela ne veut pas dire si j’ai été libre. Cela veut dire si mon énergie disponible de volonté, au cas où il m’aurait plu de faire donner pour ainsi dire ma vieille garde de courage, était ou non à la hauteur des circonstances. C’est là une question de fait, difficile d’ailleurs à trancher; mais, s’il est prouvé que j’étais plus courageux par nature qu’il n’eût fallu l’être pour faire front à la coercition du dehors, je dois être jugé coupable d’avoir cédé, car je donne lieu de penser que j’ai pactisé avec mon ennemi, que j’ai été bien aise d’être contraint, pareil à ces dames du temps de Brantôme qui, dans une ville prise d’assaut, se réjouissaient intérieurement d’être violées. Jusqu’à quel point étaient-elles coupables d’être « victimes » de pareils viols? Elles l’étaient, évidemment, d’autant plus que la violence était moindre et leur courage naturel plus grand. Leur degré de liberté supposée n’entre pour rien dans cette appréciation.

À ce point de vue, s’évanouissent mille difficultés qui ont paru presque insolubles aux théoriciens du libre arbitre, celles que présente, par exemple, la responsabilité des hypnotisés. L’âme de ces rêveurs est comme un champ de bataille où la lutte a brusquement cessé par le sommeil de tous les combattans, à l’exception d’un seul, au gré de l’hypnotiseur qui dispose ainsi de la victoire. L’âme mutilée à ce point, dépouillée de son domaine presque tout entier, n’est plus elle-même, et ses actes, si libre qu’elle se sente — Car elle se sent libre, exactement comme nous, — sont les actes de l’hypnotiseur. Encore faut-il remarquer que, même dans l’assoupissement le plus profond de nos autres facultés, notre caractère moral, ce que nous avons de plus intime en nous, veille encore d’ordinaire; et il est fort rare qu’un acte immoral, commandé à une somnambule honnête, soit accompli. Si cependant, par exception,