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et figures : un lièvre qui traverse le chemin devant lui, trébucher au seuil d’une porte. En sorte qu’il ne jouit jamais d’aucun plaisir présent de crainte d’un fâcheux accident.


Nous voici arrivé au terme de cette longue étude, et maintenant il faut conclure. Eh bien! la duchesse de Newcastle a-t-elle droit à une attention moins frivole que celle du curieux et du dilettante, et mérite-t-elle de rester dans l’histoire littéraire à un meilleur titre que celui d’intéressante excentricité? Oui, à notre avis, elle le mérite, et cela pour trois qualités par lesquelles elle a été comme tirée, en dépit d’elle et à son insu, hors de sa situation solitaire, et qui la rattachent au mouvement général de son pays et de son temps. Elle est Anglaise, rien qu’Anglaise, et n’a jamais songé qu’elle pût être autre chose. Elle a cependant longuement vécu à l’étranger, tant en France que dans les Pays-Bas espagnols, et c’est l’époque où les influences de l’Espagne d’abord, et de la France ensuite, modifient si profondément la littérature anglaise que les caractères les plus constans de cette littérature semblent en être effacés pour jamais ; mais de tout cela la duchesse n’a pas subi la moindre atteinte. Elle reste fidèle à la culture anglaise de sa jeunesse et la prolonge. Les romans de La Calprenède et de Mlle de Scudéry, non plus que les tragédies de Corneille, n’ont pas eu empire sur son esprit, et, si on veut à toute force qu’elle ait été précieuse, c’est à une école anglaise qu’elle a appris à l’être ; mais l’hôtel de Rambouillet n’y est entré pour rien. En second lieu, quelle que soit la valeur de ses écrits, son nom est assuré de ne pas être effacé de la littérature anglaise, car il est le premier qu’il faudra écrire toutes les lois qu’il s’agira de dresser la liste de ces bas-bleus qui ont servi si diversement et si puissamment la cause des sentimens anglais et des idées anglaises. C’est elle qui inaugure réellement la tribu des femmes de lettres anglaises, et elle l’inaugure avec une décence supérieure, une innocence pédantesque, mais naïve, un effort vers tout ce qui est élevé et noble qui, pour être souvent impuissant, n’en reste pas moins toujours respectable. Quelle distance il y a, sous ce rapport, entre elle et telle des contemporaines qui vont suivre, cette Aphra Ben, par exemple, qui ne craignit pas de lutter de licence avec les Etheredge, les Wycherley et les Congreve? Laissons enfin Antoine Hamilton nous révéler le troisième mérite de la duchesse par une anecdote de ses piquans Mémoires de Grammont. Vous rappelez-vous l’entrée du chevalier au bal masqué de la cour, et comment, au milieu des rires, il raconte à Charles II qu’il a été arrêté et retardé par un grand diable de fantôme vêtu de voiles orientaux? « Ah! s’écrie Charles II, ce doit être la duchesse