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il y a certains hommes qui croient être, ou au moins pouvoir être si purs d’esprit par le secours de la grâce qu’ils en sont sanctifiés; qui croient être tellement pleins du Saint-Esprit qu’ils en ont des visions spirituelles et des conversations familières avec Dieu, dont leurs folles imaginations font un camarade de fréquentation commune. Mais croire qu’ils sont des compagnons convenables pour Dieu lui-même ; croire que, eux exceptés, aucune des créatures de Dieu n’est ou ne fut digne de la faveur divine; croire, comme ils se l’imaginent, qu’ils font partie du conseil privé de Dieu, de manière à connaître son plaisir et sa volonté, ses décrets et ses arrêts, toutes choses qui ne peuvent être connues, — car le Créateur est trop puissant pour qu’aucune créature puisse le comprendre, — c’est là une opinion qui dérive simplement d’un amour de soi, d’un orgueil de soi et d’une ambition personnelle extraordinaires. Par conséquent, prions humblement l’être que nous sommes impuissans à concevoir. »

Mais avant qu’il eût achevé son sermon, le saint troupeau avait commencé à s’agiter, et à la fin vida si bien la salle que notre ami aurait prié tout seul si moi et deux ou trois dames qui étaient en ma compagnie n’étions restées. Lorsqu’il eut achevé une courte prière, il nous dit qu’il venait de faire ce que le grand conseil d’État ne pourrait pas accomplir, c’est-à-dire disperser au moyen d’un tout petit discours, sans bruit ni trouble, une compagnie de sectaires.


Une dernière et courte citation pour épuiser complètement ce que les écrits de la duchesse peuvent contenir de renseignemens sur les mœurs du temps. Nous avons passé naguère en revue avec Aubrey les grands courans de la superstition au XVIIe siècle ; le petit portrait que voici peut nous apprendre de son côté ce qu’était la superstition commune et familière et pour ainsi dire le pain quotidien du superstitieux Anglais sous la Restauration.


Le sot superstitieux est observateur attentif des temps, des situations, des figures, des bruits, des accidens et des rêves. Ainsi, pour le temps, il ne commencera un voyage, ne se mariera, n’achètera de la terre, ne bâtira, ne commencera un travail quelconque que les jours heureux. Chapitre des rêves : s’il rêve que ses dents tombent, ou de fleurs, ou de jardins, ou de quelque chose de vert, ou qu’il voit sa figure dans un miroir, ou qu’il tombe dans un précipice, ou qu’il assiste à un mariage, il estime que cela est fatal. Chapitre des bruits : l’aboiement des chiens, le croassement des corbeaux, le chant des cri-cris, le hululement des hiboux. Chapitre des accidens : le saignement de nez, la démangeaison à l’œil droit, la salière renversée. Chapitre des hasards