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parce qu’ils ont le haut goût de la mode, mais ils préfèrent ce qui est le plus agréable ou le plus savoureux à leur goût. Ils ne suivent pas les vices ou les vanités-modes, ni ne s’adonnent aux exercices à la mode, mais à ceux qu’ils aiment le mieux. Si c’est la mode de jouer au tennis ou au paille-maille, et qu’ils aiment mieux monter à cheval ou faire des armes, ils laissent là les exercices à la mode et continuent les leurs. De même si c’est la mode de jouer aux cartes ou aux dés, et qu’ils aiment mieux écrire et lire. De même si c’est la mode de dîner et de souper en compagnie dans les tables d’hôte et les tavernes, et qu’ils aiment mieux dîner et souper seuls chez eux. » C’est un plaidoyer très direct pro domo suà que ces dernières phrases où la duchesse multiplie les allusions à ses goûts littéraires, aux goûts d’escrime et d’équitation de son mari, et à la sobriété dans les choses de la table qui leur était commune à tous deux.

M. Jenkins loue à plusieurs reprises la grande piété de la duchesse ; mais, après lecture répétée de tous les fragmens, tant en prose qu’en vers, qu’il nous présente de ses écrits, cette qualité ne nous frappe en elle que très modérément, et nous aurions plutôt envie de nous demander quelle était réellement l’étendue et la nature de sa foi, et dans quelle mesure on peut dire qu’elle était religieuse. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que cette piété, trop peu dévotieuse pour les catholiques, trop peu intérieure pour les protestans, n’était pour plaire à aucune des deux grandes communions entre lesquelles la duchesse se trouvait placée. Quand elle parle de religion, c’est noblement, mais sèchement, sans aucune tendresse de langage ni aucune humilité de raison. On ne surprend pas en elle la plus petite préférence pour une cérémonie, un rite ou une pratique pieuse quelconque, et il semble vraiment qu’elle n’ait attaché aucune importance à tout ce qui était du culte extérieur, bien qu’elle appartînt à cette église anglicane où les controverses liturgiques ont toujours tenu une si grande place. Son esprit est si peu porté au mysticisme, que le plus naturel des actes religieux de l’âme, la prière, lui est presque antipathique. Elle voulait les prières courtes et rares, estimant que les prières longues et répétées étaient irrévérencieuses et presque impies, opinion qui peut nous paraître aujourd’hui fort inoffensive, mais qui l’était peut-être beaucoup moins dans un temps où les puritains avaient poussé l’ardeur de la prière plus loin encore que les catholiques, ce qui prouve que, pour juger de l’importance du plus petit détail, il faut le voir dans son vrai milieu[1]. Elle allait beaucoup plus loin

  1. Pendant le siège de La Rochelle par Richelieu, un des ministres presbytériens qui furent envoyés d’Angleterre pour soutenir le zèle des réformés priait quinze heures par jour. Ce ministre était un des ancêtres directs de mistress Carlisle, et c’est de Carlyle lui-même que je tiens ce détail.