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voilà des actes qui ne lui coûtent à accomplir ni un scrupule ni un remords. Machiavel aurait reconnu en lui une âme italienne avec des profondeurs insondables de corruption et d’astuce. Mais dans cette dépravation quelle part ne faut-il pas faire au siècle, à la race, à la famille ! Regardons autour de Mirabeau et voyons ce que vaut la moralité de ses contemporains les plus célèbres. Croit-on, par hasard, que les âmes de Camille Desmoulins, de Danton, de Sieyès, de Talleyrand, fussent plus pures que la sienne? Quels exemples, d’autre part, n’a-t-il pas reçus dans sa famille? Il a vu son père vivre avec une concubine, sa mère publier ses adultères et les attester par écrit, une de ses sœurs courir les grands chemins avec un chevalier d’industrie. Quelle discipline morale, quel frein lui a-t-on imposé? Et cependant l’hérédité qui le déprave par certains côtés le relève par d’autres. Son père a déposé en lui, avec la passion du travail, le germe des sentimens les plus nobles, l’amour de l’humanité, la passion de la justice, une pitié profonde pour ceux qui souffrent, un désir ardent de soulager leurs souffrances. Personne n’a été plus pénétré que Mirabeau de l’esprit de la révolution, personne n’a applaudi de meilleur cœur à l’abolition des privilèges, à l’établissement de la liberté civile et religieuse, au triomphe de l’égalité. Sur ces points décisifs, sur ces victoires qu’il considère comme définitives, on ne trouve chez lui ni une hésitation ni une dissonance. Il le répète à satiété dans les mémoires qu’il adresse à la cour. Il tient à ne laisser aucune illusion aux esprits que pourrait hanter le regret de l’ancien régime, de cet ancien régime qu’il a vu de près, dont il a connu les iniquités! On ne reviendra pas à la féodalité, aux exemptions pécuniaires, aux droits particuliers des possesseurs de fiefs, à la distinction des ordres. Toutes les inégalités qu’il a si souvent dénoncées et maudites sont emportées désormais dans le torrent révolutionnaire. Aucune puissance humaine ne les ramènera. On rencontre ici la limite certaine de la vénalité de Mirabeau. Il aimait l’argent, il en avait besoin; mais il n’aurait jamais consenti, pour en recevoir, à abandonner les principes, ce qu’il appelle lui-même les bienfaits de la révolution. La Fayette, qui le jugeait sévèrement, lui rend à cet égard un témoignage formel. « Mirabeau, dit-il dans ses Mémoires, n’était pas inaccessible à l’argent, mais pour aucune somme il n’aurait soutenu une opinion qui eût détruit la liberté et déshonoré son esprit. »

La générosité des sentimens de Mirabeau n’avait pas seulement