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Pendant que Mirabeau retrouvait sa popularité un instant menacée, il rétablissait ses relations avec la cour dans des conditions nouvelles. Les ministres, qu’il avait si longtemps attaqués sans réussir à les renverser, venaient enfin de succomber. Il n’avait pu empêcher qu’on les remplaçât par des amis de La Fayette. Mais un membre de l’ancien ministère, homme de cœur, personnellement dévoué à la cour et prévenu depuis peu contre le commandant des gardes nationales, M. de Montmorin, était resté en fonctions. Quoique Mirabeau, qui avait été son protégé, son émissaire en Prusse, auquel il avait rendu des services d’argent, eût eu de grands torts envers lui et eût manqué à tous les devoirs de la correction diplomatique en publiant l’histoire secrète de la cour de Berlin, un même sentiment les rapprochait : le désir de sauver la monarchie. Sans qu’on sache bien exactement lequel des deux fit des ouvertures à l’autre, il semble que la cour ait souhaité et favorisé leur rapprochement. On n’avait plus guère le choix ni des auxiliaires, ni des moyens. Si l’on voulait se sauver, il fallait se servir des dernières ressources qui restaient.

Ressources bien incertaines, bien précaires en vérité, à en juger par la quarante-sixième et la quarante-septième notes adressées à la cour après une entente avec M. de Montmorin ! Comme toujours, Mirabeau est tout à fait supérieur dans la partie critique. Il peint les difficultés de la situation avec une vérité et une précision effrayantes. — « Il est évident que nous périssons, nous, la royauté, l’autorité, la nation entière ; l’assemblée se tue et nous tue. » — Paris surtout, comme il l’a déjà souvent dit, l’inquiète au plus haut degré. — « Cette ville connaît toute sa force; elle l’a exercée tour à tour sur l’armée, sur le roi, sur les ministres, sur l’assemblée; elle l’exerce sur chaque député individuellement, elle ôte aux uns le pouvoir d’agir, aux autres le courage de se rétracter, et une foule de décrets n’ont été que le fruit de son influence. » — Comment, d’ailleurs, rétablir l’autorité dans une ville qui appartient à la garde nationale? La garde nationale est-elle autre chose qu’un instrument entre les mains des factieux? L’assemblée aussi est un obstacle, peut-être le plus grand de tous. Personne aujourd’hui n’a plus d’ascendant sur elle. Elle échappe à toute influence ; comme le peuple