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ministérielle. Il presse la cour de faire attaquer la résolution impolitique qui exclut les députés du ministère, et il s’offre lui-même à porter les premiers coups. S’il était élu président de l’assemblée, peut-être pourrait-il la faire revenir sur ses décisions antérieures. Mais, là encore, il rencontre l’opposition de La Fayette, de plus en plus défiant. Pendant que la cour hésite entre les deux adversaires qu’elle a vainement essayé de rapprocher, tous deux consument leurs forces dans la plus stérile des luttes.

Mirabeau n’en continue pas moins à chercher et à proposer des moyens d’action. Son imagination infatigable lui en fournit sans cesse de nouveaux. Un jour il reprend une de ses thèses favorites, il rappelle la nécessité de soustraire le roi aux agitations et aux influences de Paris. Il conseille à la cour de se rendre à Fontainebleau, où le roi demandera une escorte des gardes nationales. Cela lui permettra en même temps de se faire garder par des troupes de ligne. On n’osera pas les lui refuser dans la crainte de mécontenter toute l’armée. Mirabeau va jusqu’à désigner les régimens et les colonels sur lesquels on peut compter[1]. On organisera ainsi une force armée qui, en assurant la sécurité du souverain, pourra devenir un foyer de résistance. L’anarchie fait tant de progrès qu’il faut se préparer à la lutte et qu’on aura besoin de soldats fidèles. Les régimens suisses sont très sûrs. On pourrait les échelonner sur la frontière depuis la Manche jusqu’à Landau et jusqu’à Besançon. L’important serait de relier entre eux les différens corps de troupes en les plaçant sous le commandement supérieur d’un inspecteur-général. Le comte de La Marck est tout désigné pour cet emploi. L’infanterie allemande pourrait aussi être pourvue d’un chef. Mais ce que Mirabeau désire par-dessus tout, c’est qu’on prépare une organisation et un plan d’ensemble. Autrement, l’armée, dépourvue d’unité et de cohésion, périra, comme la nation, par l’anarchie.

Un autre jour, Mirabeau insiste pour qu’on agisse sur l’opinion. Elle a tout détruit, elle peut tout rétablir. On devrait consulter les hommes les plus influens dans chaque département, mettre à leur disposition des lieutenans dévoués, choisis, non pas des créatures désignées par les ministres, mais les talens les plus en vue, les caractères les plus fermes et leur confier le soin de travailler les provinces. Un millier de sentinelles qui veilleraient sur les principes, un millier d’auxiliaires distribués avec art sur l’ensemble du

  1. Quoique Mirabeau désigne Bouillé comme le général sur lequel il y aurait le plus de fonds à faire, son plan n’a pas de rapport avec la fuite de Varennes. Il ne conseille ni d’aller à la frontière, ni de chercher un appui au dehors. Il compte pour réussir sur les assemblées départementales autant que sur l’armée, et il engage le roi à rester au cœur du royaume en relations étroites avec elles.