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par hasard on lui signale des omissions utiles, des retranchemens à faire, avons-nous le droit de lui en demander compte ? C’est affaire entre lui et les personnes dont il tient son mandat. Tous ceux qui ont connu personnellement M. de Bacourt, et je suis du nombre, savent qu’il était incapable d’altérer un texte. Il n’y a jamais eu plus galant homme. On peut répondre avec lui que l’imprimé est la reproduction fidèle du manuscrit. S’il ne nous donne pas tout, comme l’en accusent Stædtler[1] et après lui M. Aulard, comme il en convient lui-même plusieurs fois, c’est peut-être qu’il n’était pas autorisé à tout publier. Avant de le condamner, il faudrait d’abord savoir quelles étaient les instructions du comte de La Marck.

N’oublions pas d’ailleurs qu’au commencement de ce siècle, suivant la tradition grecque et latine, on considérait l’histoire comme une œuvre d’art au moins autant que comme une œuvre de science. Aujourd’hui nous voulons tout connaître, les rognures, les redites, les détails en apparence les plus infimes, aussi bien que les documens les plus importans. Nous ne savons pas quel parti l’historien de l’avenir pourra tirer du renseignement le plus insignifiant. Au temps de MM. de La Marck et de Bacourt, on avait un autre genre de scrupule, on se croyait tenu au discernement et au choix. On ne se faisait pas faute d’élaguer ce qui paraissait inutile ou hors de propos. En admettant que M. de Bacourt ait fait ainsi quelquefois de lui-même, sans instructions précises de M. de La Marck, uniquement par amour de l’art, — ce qui resterait à prouver, — il serait bien étonnant qu’un homme si scrupuleux eût omis un seul document de quelque importance. S’il avait trié les papiers comme on l’en accuse, et fait un choix des documens à publier, il pouvait avoir pour cela des motifs ou des informations dont nous ne sommes pas les juges. Parmi les liasses de manuscrits trouvés dans l’hôtel de Mirabeau au moment de sa mort, combien y en avait-il qui n’étaient pas de lui, auxquels il n’avait jamais mis la main, qui lui servaient simplement de matériaux pour ses recherches, ses mémoires ou ses discours ! On en jugera par l’énorme quantité de morceaux étrangers que renferment

  1. J.-Ph. Stædtler, un des anciens secrétaires du comte de La Marck, traduisit en allemand la publication de M. de Bacourt en la complétant par des éclaircissemens et par des additions. Il nous renseigne sur quelques-unes des suppressions que M. de Bacourt a faites sans les dissimuler, mais il ne nous donne pas un détail nouveau sur la physionomie de Mirabeau. M. Alfred Stern, qui a fait de son travail une étude très consciencieuse, n’a pu en tirer ni un détail de mœurs ni un trait de caractère. Il a trouvé des renseignemens bien plus précieux dans les récits de Halem, d’OElsner et de Gorani. Tous trois avaient connu et entendu Mirabeau. Leurs témoignages étaient à peu près oubliés. M. Alfred Stein a bien fait de les exhumer.