Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/806

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Monnier, il s’était fait payer par des ministres, par des banquiers, par des libraires ; cette fois, il se faisait payer par le roi, non pas comme il l’avait fait jadis pour servir des intérêts suspects ou pour écrire des œuvres diffamatoires, mais pour exprimer son opinion personnelle sur les affaires publiques. De tous les marchés qu’il avait conclus, c’est encore le plus honnête. Il croyait sincèrement à l’efficacité des conseils qu’il allait donner, et, dans ses communications avec la cour, il ne devait rien dire qui ne fût conforme à des opinions déjà anciennes et en partie arrêtées chez lui. Deux périls l’effrayaient également, au dehors, les tentatives de contre-révolution que méditaient les premiers émigrés avec le concours de l’étranger ; au dedans, la désorganisation des pouvoirs publics et les progrès de l’anarchie.

De ce côté surtout, le mal était flagrant. Par une série de mesures qu’inspirait la crainte d’un retour offensif de la royauté, l’assemblée avait peu à peu détruit le mécanisme de l’ancienne administration. Elle ne laissait au roi aucun moyen d’action sur les provinces. Dès le commencement de 1790, les intendans ou leurs agens avaient en général disparu ; le petit nombre de ceux qui restaient était réduit à une complète impuissance. La rentrée des anciennes cours souveraines, la réunion des États provinciaux avaient été suspendues. Le pouvoir n’était plus représenté par des administrateurs qu’il eût le droit de choisir ou de révoquer. L’assemblée, issue de l’élection, ne reconnaissait que des autorités élues et collectives comme elle-même. Sur tous les points du territoire, elle imposait au gouvernement pour organes et pour instrumens des corps élus qu’il ne dépendait pas de lui de désigner ou de maintenir en fonctions, qui échappaient même par leur forme élective à toute responsabilité directe. On croyait avoir sauvé le principe de l’autorité en proclamant que tous les pouvoirs locaux obéiraient au pouvoir central. En réalité, on destituait, on annulait celui-ci : — « Je vois bien, disait Malouet, que les officiers municipaux devront arrêter les efforts des brigands, mais je ne vois pas la place que l’ordonnateur suprême devra tenir entre les officiers municipaux et les brigands. » — « Le législateur, disait Necker, aurait une fonction trop aisée, si, pour opérer cette grande œuvre politique, la soumission d’un grand nombre à la volonté de quelques-uns, il lui suffisait de conjuguer le verbe commander et de dire comme au collège : je commanderai, nous commanderons. L’assemblée nationale n’a pas indiqué par quels moyens elle entendait que le roi se fit obéir. Celui de la force armée n’existe pas, puisque cette force ne doit être mue que par les administrations des départemens, des districts et des municipalités. Celui des menaces