Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/803

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il l’accusa plus vivement encore de n’avoir su ni prendre parti contre les ministres en exercice, ni prévenir le vote d’une proposition qui coupait court à toutes les ambitions parlementaires en interdisant aux membres de l’assemblée l’accès du ministère. Battu de ce côté, Mirabeau se retourna vers le comte de Provence, qui, sans accueillir ses premières ouvertures, ne les avait pas non plus tout à fait découragées. Là encore, il rencontra de nouvelles déceptions. Monsieur se servit de lui pour sortir sans trop de dommage du procès Favras, mais ne put lui prêter auprès du roi aucun appui efficace. Le prince n’était pas non plus en mesure de jouer le rôle que Mirabeau avait peut-être un instant destiné au duc d’Orléans, pour lequel il cherchait maintenant un membre de la famille royale, moins compromis et plus résolu. Il s’agissait de tenir tête enfin à l’anarchie dans laquelle s’abîmait le royaume, de constituer un pouvoir fort, et tout en conservant la personne inviolable du roi, d’obtenir que le souverain laissât passer l’autorité entre des mains plus fermes que les siennes. Si le comte de Provence, mis en avant par une partie de l’assemblée, devenait le chef d’un ministère puissant, ou peut-être même lieutenant-général du royaume, Mirabeau espérait bien gouverner sous son nom. Monsieur avait assurément beaucoup d’esprit et au moins autant d’ambition, il ménageait habilement les différens partis avec l’espoir de se servir de tous; mais il n’avait pas encore acquis les grandes qualités que devaient développer chez lui le malheur et l’exil, il craignait les responsabilités, il hésitait devant les résolutions à prendre et laissait passer les jours sans se décider.

Mirabeau s’impatientait et s’irritait de tant de délais. « Monsieur, écrit-il, a la pureté d’un enfant, mais il en a la faiblesse... La reine le cajole et le déjoue: le roi niaise et s’abstient... La reine le traite comme un petit poulet qu’on aime bien à caresser à travers les barreaux d’une mue, mais que l’on se garde bien d’en laisser sortir, et lui se laisse traiter ainsi. » L’embarras et les appréhensions du prince ne l’empêchaient pas à certaines heures de tenter la fortune. Stimulé par Mirabeau, il s’armait de courage et frappait à la porte de Louis XVI. une fois même, il osa demander dans un mémoire à être « le pilote nominal d’un nouvel équipage sans lequel le vaisseau ne pouvait plus marcher. » Des trois candidats qui avaient aspiré un instant au poste de lieutenant-général, le comte d’Artois porté par les partisans de l’ancien régime, le duc d’Orléans porté par les révolutionnaires, le comte de Provence, malgré ses incertitudes, était encore celui qui témoignait le plus de hardiesse. Il osait proposer directement au roi d’être son conseil, le chef de ses amis, de subjuguer l’opinion et de dompter