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à tout désapprendre en entrant dans l’ordre. Il l’y aidait en ne tolérant pas de livres inutiles dans ses couvens, et quels livres n’étaient pas inutiles à ses yeux ? Un frère demandait un psautier ; il lui envoya de la cendre. Un couvent où il s’était arrêté pendant un voyage n’avait pas de livres pour dire les offices ; il n’y vit aucun inconvénient et remplaça l’office par une conversation édifiante. Sa religion toute d’effusion n’avait pas plus besoin de pratiques que de raisonnemens.

Les premiers qui lui parlèrent d’écoles furent donc mal reçus. Ils revinrent à la charge, et l’on ne peut leur donner tort ; les natures nobles sont rares, et il n’y a qu’elles pour bien porter l’ignorance. Saint François céda sans être convaincu. Ses mineurs étudièrent, et il eut, comme saint Dominique, des orateurs habiles, bien armés d’argumens théologiques. Il persista à leur préférer les illettrés et les poètes, son cher frère Léon, âme d’enfant dans un corps de rustre, ou frère Pacifique, jadis poète de profession et surnommé dans le monde « le roi des vers. » Il disait aux savans : — « Vous vous flattez de convertir les hommes ? Vous vous trompez. Ce sont mes frères simples qui les convertissent. » — Dans la règle définitive qu’il écrivit trois ans avant sa mort, il mit la recommandation suivante : — « Et que ceux qui ne savent pas les lettres ne se mettent point en peine de les apprendre. » — Ce ne fut pas sa faute si les franciscains dégénérèrent, et de son vivant même ; il avait l’esprit net et voulait bien ce qu’il voulait.


V.

Pour lui, tel il était au lendemain de sa conversion, tel on le retrouve à la fin de sa carrière, ardent, chevaleresque, éternellement jeune de cœur et éternellement enthousiaste. Le grand air l’a bruni, les abstinences ont réduit son corps à rien ; mais les yeux et le sourire ont gardé leur éloquence, les manières leur grâce exquise. Le saint de Dieu est toujours le « si aimable, » à qui personne n’aurait le courage de faire du mal. Tellement qu’il essaie inutilement d’être martyr. L’histoire de son expédition chez les infidèles, qui refusèrent de le tuer, est un bijou de naïveté.

Il s’était rendu tout exprès en Égypte (1219), où l’armée de la 5e croisade assiégeait Damiette. Le camp chrétien ne lui résista pas. — « Il est si aimable, » écrivait un croisé. Ce fut aussi l’avis du Soudan d’Égypte, quand cet être charmant se présenta devant lui, résolu à le convertir ou à être martyrisé.

Saint François était accompagné d’un de ses moines. Ils saluèrent ce prince farouche, qui mettait à prix la tête des chrétiens. — « Et il les salua aussi, pui lor demanda s’il voloient estre Sarrazins,