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L’ère des difficultés sérieuses s’ouvrait. Saint François fit face au danger avec une prudence et une habileté remarquables.

Il s’attacha à faire entrer dans tous les esprits, à commencer par ceux de ses moines, que les mineurs étaient les serviteurs obéissans du saint-siège et ne seraient jamais autre chose. Leur renoncement aux biens terrestres n’était pas un blâme déguisé, une protestation tacite contre les splendeurs mondaines de l’église ; c’était une façon de la compléter en y introduisant l’élément qui lui manquait : la pauvreté tant aimée par Jésus[1], Les nobles n’avaient rien à craindre non plus. Les mineurs étaient instruits à les honorer, et le maître y veillait; de peur que les siens ne commissent des imprudences de langage, il les réunissait à la Portioncule, en chapitres généraux, et les exhortait à respecter « les prélats, les prêtres, les nobles et les riches. »

Mais saint François avait beau faire, les défiances grandissaient avec le succès, et l’ordre des mineurs n’aurait peut-être pas vécu sans un protecteur puissant, qui admirait leur fondateur et approuvait hautement son enseignement. Le cardinal Hugolin, pape depuis sous le nom de Grégoire IX, s’était intéressé de bonne heure à la Portioncule et à ses idées, et il s’était institué le conseil et l’appui des mendians. A dater de 1216, il est intimement mêlé à l’histoire de l’ordre. Il le protège à Rome, le dirige dans les questions d’affaires, le renseigne, modère ou excite son ardeur, selon les circonstances, et fait au besoin prévaloir ses avis d’habile politique sur les impulsions de saint François. Le temps et le crédit du vieux cardinal sont à la disposition des mineurs, les services qu’il leur rend ne se comptent bientôt plus. Les plus signalés furent l’organisation des missions à l’étranger et celle du tiers-ordre.

Les premières missions à l’étranger avaient échoué. Parties à la grâce de Dieu pour des pays dont elles ne savaient pas la langue et où leur costume n’était pas connu, elles avaient été mal reçues presque partout, très insultées, très battues et étaient revenues découragées. — «On ne nous connaît pas, disaient les frères, et on ne nous comprend pas. Nous sommes maltraités par le clergé comme par les laïques. » — Le cardinal Hugolin leur donna quelques leçons de sagesse mondaine. Il leur apprit à préparer les voies et les fit recommander par Rome aux clergés étrangers. Lui-même ne laissa pas ignorer la sollicitude que lui inspiraient ces moines déguenillés. La scène changea aussitôt. Évêques et abbés firent aux missionnaires l’accueil dû à des gens aussi bien en cour. Les couvens sortirent de terre sur leurs pas, et le réseau franciscain s’étendit

  1. Voir Franz von Assisi, par le docteur Karl Hase (Leipzig, 1856).