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le haut de la ville. Ils ne pouvaient sortir de chez eux sans voir au-delà des remparts, et lorsque le printemps italien jetait sa royale parure sur les monts et les plaines, la vie du jeune François devenait un enchantement.

La poésie provençale et la nature furent ses deux grands précepteurs. Les leçons qu’il recul des événemens publics complétèrent son éducation. Son adolescence assista aux efforts d’Assise pour se débarrasser du duc allemand imposé par l’empereur. Il avait seize ans et demi quand le peuple, profitant d’une absence de Conrad von Lutzen, se leva en masse et monta assiéger la citadelle dont on voit encore plusieurs tours carrées et quelques murs énormes. Le redoutable Rocher-Rouge, asile séculaire des oppresseurs étrangers, fut pris et incontinent démantelé. La population courut ensuite réparer les murailles de la ville. Il ne restait qu’à nettoyer Assise des ennemis intérieurs, ces nobles durs et rapaces qui tenaient garnison dans leurs palais fortifiés et y vivaient comme en terre conquise. Ceux d’entre eux qui acceptèrent le régime nouveau obtinrent des conditions honorables ; on convint de leur réserver une partie des dignités républicaines. Une série d’assauts et d’incendies eurent raison des autres, et l’Ombrie compta une cité libre de plus.

François Bernadone était du parti du peuple et hardi compagnon. Il est très douteux[1] qu’il ait assisté les bras croisés à ces luttes généreuses en faveur de l’indépendance. Cela ressemblerait trop peu à tout ce que l’on sait de lui. L’esprit ne soufflait pas encore sur cette jeune tête, bouillonnante d’énergies ignorées d’elle et des autres. Le futur paladin de l’Évangile, destiné aux victoires pacifiques, se contentait pour l’instant d’être un jouvenceau d’humeur belliqueuse, qui rêvait aventures, conquêtes, chevalerie, gloire et qu’on trouvait toujours empressé à décrocher son bouclier.

Au surplus, très gai et passablement frivole. Il n’était que rire et chansons, prenait au sérieux le menu d’un repas ou la coupe d’un habit, et jetait à pleines mains les écus paternels, à moins cependant qu’il ne s’abîmât dans une méditation solitaire, entre deux parties de plaisir, ou qu’il ne se perdît derrière son comptoir dans de vagues projets romanesques. Ses pieux disciples soupiraient plus tard en se rappelant les contrastes de sa nature. Il restait petit-maître jusqu’au bout des ongles en attendant d’être un héros, et en sentant qu’il le serait, bien qu’il fût loin de prévoir comment. Ceux qui le connaissaient le sentaient aussi, malgré toutes les apparences. Il poussait la recherche jusqu’à l’enfantillage, se composait des costumes extravagans, faisait à table le délicat et le dégoûté, se bouchait

  1. Voir Cristofani, Storie d’Assisi.