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de même après la conversion de saint François, mais on nous l’avait du moins bien fait connaître auparavant, et c’est une physionomie curieuse; elle nous laisse entrevoir ce qu’était cette bourgeoisie naissante, déjà riche et encore grossière, dont l’avènement au pouvoir était en train de changer la face de l’Italie,

Pierre Bernadone avait conservé les rudes qualités du plébéien à travers les défauts du parvenu. L’époux de la tranquille et modeste Pica adorait le faste. Il était âpre au gain, point courtois, et il avait des colères brutales. Pas aimable, en résumé, mais actif, énergique, appliqué à ses affaires et comprenant les devoirs de sa classe d’une façon assez fière. Dans les démêlés qu’il eut plus tard avec son fils aîné, qui ne tournait pas comme il l’aurait désiré, on ne vit jamais Pierre Bernadone s’opposer à ce que François allât se battre. Il tâcha de l’empêcher de verser dans le mysticisme et de devenir un saint, c’est-à-dire un bon à rien dans ses idées de négociant; il le laissa courir au danger toutes les fois que son fils en eut envie, même lorsqu’il ne s’agissait point de défendre Assise; ce marchand, qu’on nous représente intéressé et d’âme basse, admettait fort bien que son enfant gâté, son meilleur aide au comptoir, laissât là les cliens et risquât de se faire tuer sans aucune nécessité, uniquement pour l’amour de la gloire.

En revanche, Pierre Bernadone ne peut échapper au reproche d’avoir mal élevé ses fils. Les vieux biographes assurent que c’était alors l’usage. On ne voyait pas d’inconvénient à ce que les garçons se conduisissent en chevaux échappés, et François Bernadone ne s’en fit pas faute. Il était très ardent et il avait beaucoup d’argent; il devint le boute-en-train de la jeunesse dorée d’Assise, l’instigateur de toutes les sottises, et les sottises n’étaient rien moins que raffinées aux environs de l’an 1200. L’un des plus grands plaisirs des fils de bourgeois était de se griser de compagnie et d’aller ensuite faire du tapage dans les rues. Assise retentissait jour et nuit des chants et des cris de ces jeunes fous, en tête desquels marchait le fils du riche Bernadone, l’air important, car il s’imaginait être un personnage et jouer un rôle digne d’admiration. Son excuse est que la ville entière l’admirait effectivement, et de tout son cœur, parce qu’il restait élégant et doux au milieu des excès. Jamais brutal, jamais un mot grossier. « Il n’avait pas l’air d’être de sa famille, » dit un contemporain qui avait connu le père et les frères. Il n’avait pas non plus l’air d’être de sa classe, tant il y avait de noblesse dans toute sa personne.

Ses études furent sommaires. Il était mauvais écolier et il resta peu de temps sur les bancs. Son père l’en retira de bonne heure pour le mettre à auner du drap, sans s’inquiéter de l’état de ses