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donné à nos prudences ni à nos faiblesses. Il a remis sous les yeux des chrétiens la pensée de Jésus dans sa nudité et a soutenu avec un doux entêtement que ses exigences ne sont pas au-dessus de nos forces. Nous allons essayer, après beaucoup d’autres[1], de raconter sa vie et son œuvre. C’est une histoire connue, mais si belle qu’on ne s’en lasse point, et on n’y a peut-être jamais cherché la leçon que nous venons d’indiquer. Selon que les idées de saint François d’Assise sembleront au lecteur d’un grand sage, ou seulement d’un grand saint, trop élevé au-dessus des choses de la terre pour en raisonner avec beaucoup de sens, il saura jusqu’à quel point il est encore dans la pure tradition évangélique.


I.

Lorsqu’on descend de Florence sur Rome par les vallées ombriennes, on aperçoit les villes dans les airs, posées sur des cimes abruptes dont elles suivent les contours déchiquetés. Beaucoup ont conservé les hautes murailles crénelées du moyen âge, qui serpentent au flanc de la montagne en formant des dessins bizarres. La montée jusqu’aux portes est longue et rude, l’intérieur de la ville accidenté. Les maisons sont tassées le long de petites rues tortueuses et escarpées, faciles à fermer et à défendre. Les vieux palais noircis ont des airs de forteresses. Tout parle aux yeux d’un passé d’insécurité, d’invasions étrangères et de troubles civils. Tout parle aussi de la vénérable antiquité de ces retraites inaccessibles, où les débris du moyen âge recouvrent des murailles romaines, posées sur des fondemens étrusques.

Les cités de l’Ombrie ont eu leurs jours de puissance et d’éclat. Leurs cathédrales, leurs hôtels de ville, les restes de leurs citadelles et de leurs palais témoignent de ce qu’elles furent du XIIe au XVe siècle, alors que Cortone, Pérouse, Assise, Foligno, Spolète, Orvieto levaient des armées et formaient des alliances. Leurs libertés avaient grandi, comme dans l’Italie du nord, pendant la longue querelle des papes et des empereurs. Tandis qu’on se disputait

  1. Nous mentionnerons en première ligne l’Histoire de saint François d’Assise, de M. L’abbé Léon Le Monnier (Paris, 2 vol. in-8o, 1889; Victor Lecoffre), ouvrage remarquable par l’érudition, la largeur d’esprit et la sincérité. Puis les délicieuses biographies de Thomas Celano et des Trois Compagnons, tous quatre disciples de saint François; la Vita, etc., de saint Bonaventure (1263); les Fioretti (XIVe siècle); le Saint François de Frédéric Morin (1853), et celui du docteur Karl Hase (Leipzig, 1856); Poètes franciscains, d’Ozanam (1859); Nouvelles Études d’histoire religieuse, par M. Renan ; des Hallucinations du mysticisme chrétien, par A. Maury (Revue du 1er novembre 1854) ; l’Italie mystique, par Emile Gebhart (1890), etc.