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que jamais rallumée ! L’embarras a été pour les pouvoirs serbes, régence et parlement, également impatiens de mettre un terme à une situation périlleuse, à un conflit qui pouvait devenir funeste pour la paix publique. On s’est décidé à en finir, à hâter, à exiger au besoin le départ des deux encombrans personnages. Restait l’exécution! avec le roi Milan on s’est arrangé sans trop de peine; on a obtenu son départ avec un supplément de dotation et toujours sous la condition que la reine partirait de son côté. Avec la mère du jeune roi, les difficultés ont été plus sérieuses. La reine Nathalie, froissée dans son orgueil, excitée par ses amis, a résisté à toutes les sollicitations, elle a déclaré qu’elle ne céderait qu’à la force. Malgré tout, le chef de la régence, M. Ristitch, a persisté à faire partir la souveraine, et c’est ici que tout s’est aggravé par l’intervention du sentiment populaire qui s’est ému pour cette princesse maltraitée par son mari, frappée d’une expulsion sommaire. A peine, en effet, la reine a-t-elle été mise en voiture et engagée dans la rue, sous la garde du préfet de police et de la force publique, les manifestations ont commencé, la foule s’est ameutée pour s’opposer au départ. Vainement les troupes ont essayé de protéger le cortège et ont fait feu sur les manifestans, qui ont eu des morts et des blessés : la foule a réussi à dételer la voiture et à ramener une première fois l’expulsée dans sa maison. Ce n’est que la nuit suivante, à quatre heures du matin, que, par ordre de M. Ristitch, la reine a pu être pour ainsi dire enlevée et mise en route pour Semlin. La situation n’est pas moins restée des plus graves à Belgrade, d’autant plus qu’on était sous l’impression du sang versé, que les divisions se sont manifestées dans le gouvernement, qu’une partie du ministère a donné sa démission et que l’animosité publique a éclaté contre la régence.

Qu’arrivera-t-il maintenant de tout ceci? Il est certain que, si la régence n’a fait que ce qu’elle devait faire, ce qu’elle ne pouvait éviter sous peine de voir le roi Milan revenir de son côté à Belgrade, elle a mis quelque brutalité dans l’expulsion de la reine. Il est possible qu’après l’émotion du premier moment, l’opinion s’apaise et finisse par reconnaître que la paix intérieure de la Serbie ne pouvait être indéfiniment sacrifiée aux querelles conjugales du roi Milan et de la reine Nathalie. Il se peut aussi que les choses s’aggravent à Belgrade, que la régence ait perdu son crédit, et que de ces incidens naisse une situation inquiétante pour l’Autriche, faite pour attirer l’attention de l’Europe. C’est là toujours justement le péril des affaires de ces petits états de l’Orient !


CH. DE MAZADE.