Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/701

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoir eu tant de peine à conquérir son droit de cité, le perdra tôt ou tard, mais immanquablement.

Car, à défaut du génie, qui est toujours rare, et du talent, qui n’est pas si commun, ce sont uniquement les « principes » et les « théories)> qui maintiennent leur caractère esthétique aux œuvres de la littérature et de l’art. Il n’est pas nécessaire qu’un roman soit littéraire, non plus qu’un drame. S’ils le sont, c’est presque de surcroît. Et quand ils ne le sont pas, nous voyons tous les jours qu’ils n’en sont ni moins bien accueillis, ni moins vigoureusement applaudis. C’est ce que n’ignorent pas les fournisseurs ordinaires de l’Ambigu-Comique et les auteurs de romans feuilletons. Mais si le roman n’est littéraire qu’autant qu’on y respecte certaines conditions dont la première n’est pas du tout d’être ce que l’on appelle intéressant, qui ne voit l’importance de connaître ces conditions ? de les observer ? et, quand on les viole, de savoir en quoi, comment, et pourquoi on les viole ? C’est, en vérité, ce qu’ont l’air aujourd’hui de ne pas savoir la plupart de nos romanciers, et c’est ce qu’il est bon de leur apprendre, — ou de leur rappeler.

Oui nous donnera cependant ce roman de demain ? Sera-ce M. Marcel Prévost lui-même ? ou M. Paul Margueritte ? ou M. J.-H. Rosny ? puisque ce sont les trois noms que cette enquête aura mis en lumière ; et qu’en dépit de bien des différences, il y a certainement, au fond, plus d’un trait commun entre la Confession d’un amant, la Force des choses et Daniel Valgraive.

Il y a plus d’habileté, plus d’adresse, un désir plus évident de plaire, plus de concessions aussi, pour ainsi dire, dans la Confession d’un amant ; il y a plus d’art, avec plus de réalité, et cependant plus de « romanesque » dans la Force des choses, plus d’émotion, plus de discrétion, plus de tendresse aussi ; et il y a enfin dans Daniel Valgraive plus de maturité, plus de volonté, plus de noblesse, il y a plus de profondeur et d’élévation à la fois. Mais ce qu’ils ont de commun, c’est de raffiner tous les trois sur l’amour et de tendre à en mettre la perfection dans le sacrifice ; — en quoi sans doute on conviendra qu’ils ne sont guère naturalistes. C’est encore de donner moins de place à l’aventure, ou même à l’imitation qu’à l’analyse des sentimens ; — et tous les trois, à cet égard, on peut les dire psychologiques. C’est enfin tous les trois de poser des questions, ou, comme on eût dit jadis, d’être plus ou moins des thèses, dont le choix même des situations, celui des caractères ou des types a pour objet de montrer la justesse ; — et en ce sens il faut les appeler idéalistes. Si d’ailleurs le style de M. J.-H. Rosny n’était hérissé de barbarismes inutiles et de termes plus affectés que vraiment scientifiques, il est souvent neuf, toujours personnel et original, jusqu’à en être exaspérant. Celui de M. Paul Margueritte,