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C’est ce que savent bien les jeunes romanciers, et ce qui leur déplaît du naturalisme, bien plus encore que la grossièreté de ses moyens ou la bassesse de ses sujets, c’est l’inutilité de son effort et la vanité de son œuvre.

De ce retour à l’idéalisme, il résultera plusieurs conséquences, et tout d’abord celle-ci, que la composition redeviendra, comme il convient, l’une des parties essentielles du roman. Au lieu d’être notés pour eux-mêmes, avec l’intention de n’en rien omettre, les détails le seront par rapport à l’ensemble ; et on en sacrifiera précisément ce qu’il faudra pour les faire servir à la mise en valeur de l’idée. N’est-ce pas là proprement la définition d’un art idéaliste ? À moins que les langues ne soient si mal faites qu’entre deux mots de même racine il n’y ait rien de commun ! Dans le roman comme ailleurs, être idéaliste, c’est d’abord avoir des idées ; — n’importe qu’elles soient justes ou fausses, bonnes ou mauvaises, heureuses ou saugrenues, n’importe même qu’on les accepte ou qu’on les repousse ; et ensuite c’est faire servir les moyens de l’art à l’expression et à la communication de ces idées.

En ce sens, le roman de demain sera sans doute idéaliste. On voudra qu’il soit œuvre d’art autant ou plus que d’observation ; et le premier caractère de l’œuvre d’art, c’est de se distinguer de la nature par la précision de son contour, l’équilibre de ses parties, la logique intérieure de son développement. Il se permettra donc de « corriger, » de « rectifier, » et — pourquoi reculerais-je devant le mot ? — il se permettra « d’embellir » la nature.

Ce qui est plus obscur, c’est de savoir comment on l’écrira, de quel style, si la forme en sera plus simple, plus limpide et plus rapide, ou au contraire, pourvu qu’il fasse vivant, s’il se souciera peu de la gloire d’être « bien écrit. »

À la vérité, la question est de peu d’importance. Qui donc l’a dit, et avec raison, dans cette enquête sur le roman de l’avenir, — en songeant au petit nombre des romans d’autrefois qui survivent, depuis Manon Lescaut jusqu’à Madame Bovary, — que le style, de la manière étroite qu’on l’entend trop souvent, n’avait peut-être pas la vertu de conservation qu’on lui attribue quelquefois ? Mais M. Alexandre Dumas l’avait dit avant lui, « qu’il y a jusqu’à des incorrections qui donnent quelquefois la vie à l’ensemble, comme des petits yeux, un gros nez, une grande bouche et des cheveux ébouriffés donnent souvent plus de grâce, de physionomie, de passion et d’accent à une tête que la régularité grecque. » Et à cet égard, il paraîtra curieux qu’y ayant dans notre langue trois écrivains entre tous à qui ce don d’animer et de faire vivre tout ce qu’ils touchent a été le plus largement départi, — Molière au XVIIe siècle, Saint-Simon au XVIIIe et Balzac de notre temps, — ce