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exemple, d’imiter la nature, ou au contraire de la corriger, d’en retrancher ou d’y ajouter ? Je le crains, si je les entends.

« Que chaque écrivain, nous dit l’un d’eux, — et non pas l’un des moindres, — écrive selon son tempérament, sans se soucier dans quel genre il écrit ou il doit écrire ; » et un autre ajoute : « Les systèmes sont d’enfantines manières de se donner l’illusion d’une liberté intellectuelle que nul ne peut avoir. »

On ne saurait dire plus nettement que la volonté ne peut rien dans l’art, ce que dément toute la suite de l’histoire de l’art, et ce qui est d’ailleurs la négation de l’art même. Si nous ne pouvons pas tout ce que nous voudrions, dans l’art non plus que dans la vie, il est, hélas ! au moins aussi fréquent de ne pas vouloir ce que nous pourrions. Maîtres de nos actions, ou supposés tels, ce qui est tout un dans l’usage de la vie, nous le sommes bien plus encore de nos pensées, dès que nous les exprimons, et surtout quand nous les imprimons. Il y a donc lieu de poser des « principes, » d’édifier des « théories ; » et, en littérature comme ailleurs, si quelqu’une de ces « théories » est plus large ou plus élevée que d’autres ; si quelques-uns de ces « principes » sont plus conformes à l’objet même de l’art ; cela suffit pour qu’on les préfère, pour qu’on les enseigne, et pour qu’on essaie de les appliquer.

Quant à savoir maintenant ce que sera le roman de demain, naturaliste, ou romanesque, ou symbolique, c’est assurément ce qu’on n’oserait prédire avec une assurance entière, mais c’est cependant ce qu’on peut essayer d’indiquer.

Il ne sera pas naturaliste, si du moins on prend ce mot comme synonyme de ceux de pessimisme, ou plutôt de morosité cynique, de bassesse et de vulgarité. L’Assommoir et Pot-Bouille sont faits : le roman de demain ne les recommencera pas. Mais le naturalisme ne périra pas pour cela tout entier. Les morceaux en seront bons, si j’ose user ici de cette locution familière ; et, non-seulement ses procédés ou ses moyens lui survivront, — cette probité d’observation, qu’il a d’ailleurs beaucoup plus célébrée qu’il ne l’a pratiquée ; l’obligation pour le romancier de situer ses personnages dans un milieu qui les explique en partie ; celle de ne laisser passer de sa personne dans son œuvre que le moins qu’il pourra ; — mais encore, deux ou trois choses qu’il a voulues sans les faire, parce que les temps n’en étaient pas venus, le roman de demain les fera.

Il étudiera de plus près dans les hommes « ces combinaisons infinies de la puissance,.. de la richesse, des dignités, de la force, de l’industrie, de la capacité, de la vertu, du vice, de la faiblesse, de la stupidité, de la pauvreté, de l’impuissance, de la roture et de la bassesse… » Ainsi s’exprimait La Bruyère, il y a déjà deux siècles, en son chapitre de