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figures, le portrait est à la fois un exercice fortifiant et une pierre de touche presque indispensable; pour beaucoup, en outre, c’est la réputation, la fortune, le gagne-pain; tel y peut exceller à qui manqueront toujours l’imagination et le tempérament nécessaires pour mener à bien de plus grosses besognes. Depuis les commencemens de notre renaissance, depuis Jean Foucquet et les Clouet, nous possédons une suite ininterrompue d’admirables portraitistes. La lignée, heureusement, n’en est pas éteinte, et MM. Delaunay, Paul Dubois, Jean Gigoux, Donnât, Benjamin-Constant, Jules Lefebvre, Baschet, L. Doucet, pour ne parler que des plus brillans, soutiennent avec honneur, cette année, aux Champs-Elysées, notre vieille réputation nationale.

Les meilleurs portraits seront toujours ceux dans lesquels l’expression intellectuelle et morale se dégage le mieux par l’emploi des meilleures méthodes pittoresques, ceux dans lesquels l’esprit et l’âme du modèle rayonnent le plus vivement à travers la matière mise en œuvre. C’est pourquoi nous mettrons au premier rang ceux de MM, Jean Gigoux, Paul Dubois, Delaunay. M. Jean Gigoux, le patriarche de l’art français, nous offre dans sa verte vieillesse, par son renouvellement continuel, un exemple encourageant de la salubrité du travail. Après nous avoir, dans ses jeunes ans, brillamment raconté, en couleurs romantiques, la mort de Léonard de Vinci, voici que, plus d’un demi-siècle après, s’assimilant avec une volonté édifiante les méthodes graves et profondes du grand dessinateur florentin, il s’enhardit à lutter avec lui pour l’expression calme et profonde de l’âme humaine par le modelé intense et souple du relief physionomique. M. Jean Gigoux a pris pour sujets de ses analyses deux visages des plus caractéristiques, ceux de M. Jules Simon et de M. Léon Bonnat. L’abaissement volontaire d’une coloration blanchâtre qui laisse à ces deux peintures l’apparence discrète de dessins à peine teintés permet à l’expression intellectuelle de s’y dégager plus sûrement. La finesse un peu voilée du regard, le sourire latent de la bouche spirituelle, l’allure pensive, affable et fatiguée, donnent à la tête de M. Jules Simon, vue de face, un caractère remarquable. L’individualité est peut-être marquée avec plus de fermeté et de délicatesse encore dans la tête de profil de M. Bonnat, dont M. Gigoux a exprimé, avec une connaissance intime du sujet, la vivacité contenue et la douceur énergique : c’est une merveille de modelé. Il est assez curieux de comparer, à ce point de vue, le Portrait de M. Bonnat avec les autres portraits d’artistes contemporains, assez nombreux au Salon, et dont quelques-uns sont brillamment exécutés. On a pu remarquer notamment le Portrait de M. Gérôme, par M. Cormon, peinture facile