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prairie, et surtout le Messie, de Mme Demont-Breton, inspiré par la même idée d’une prévision lointaine du Golgotha. L’enfant, ouvrant ses petits bras, se tient devant sa mère dont le regard pensif se fixe et s’attriste. Les lueurs timides du crépuscule qui caressent les blanches draperies dont s’enveloppe la jeune mère donnent à la scène une impression délicieuse de recueillement mélancolique. Le talent croissant de Mme Demont-Breton s’affirme dans cette toile aussi bien que dans la tête de petit paysan intelligent qui l’avoisine et qu’elle intitule Giotto. Nous ne saurions prendre pour une peinture religieuse l’importante composition de M. Gervais qui nous offre, dans une nudité païenne presque complète, la nudité des nymphes de la mer, les Saintes Maries abordant sur les côtes de Provence. La légende nous dit bien que ces saintes femmes étaient dépouillées de leurs vêtemens, mais je m’imagine qu’aux époques de foi un artiste quelconque, idéaliste ou réaliste, aurait su nous les montrer, même nues, en des attitudes plus édifiantes. La Madeleine qui descend, de face, à l’arrière du bateau, étale la blancheur de son corps avec la tranquille élégance d’un modèle quittant son piédestal. De ses deux compagnes, celle qui est accroupie, joignant les mains, la tête enveloppée d’un voile, présente une recherche d’expression mieux convenable; mais celle qui, debout, s’appuie le bras sur la vergue, reste encore une grosse fille assez insignifiante qui n’évoque aucune idée pieuse. La peinture, au point de vue de l’arrangement linéaire, de l’harmonie colorée, et même de l’exécution partielle, a des mérites qui ont frappé tout de suite le public et que nous sommes heureux de reconnaître. Les nus sont étudiés avec soin et gravité, les silhouettes de la barque aux formes archaïques et des trois femmes qui la montent se découpent heureusement sur le vert pâle de la mer et le bleu tendre du ciel taché de blanc et de rose par un vol d’oiseaux marins ; les colorations, qu’on pourrait, sans doute, désirer plus fraîches, s’accordent néanmoins avec agrément dans leur tonalité jaunâtre. C’est en somme l’œuvre d’un artiste et d’un poète. Il serait fâcheux que M. Gervais s’abandonnât, comme tant d’autres, aux nonchalances de ce dilettantisme trop commode, qui ne tient nul compte, dans l’interprétation d’un thème historique ou légendaire, des exigences intellectuelles ou morales de ce sujet et qui se trouve satisfait par l’exécution d’un morceau de bravoure, quel qu’il soit, à propos de quoi que ce soit. On peut voir l’une des causes de l’affaiblissement actuel de notre école dans cette indifférence excessive pour les sujets traités, indifférence qui accoutume l’esprit des peintres à ne plus faire aucun effort pour tirer de ces sujets, soit par l’imagination, soit par l’observation, tout ce qu’ils contiennent et