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distingué : dans la fosse lugubre où chevaux et cavaliers s’engloutissent en un pêle-mêle désespéré, les convulsions et les agonies de tous ces écrasés, gens et bêtes, sont rendues avec une audace souvent heureuse; il n’y a pas moins de hardiesses bien réussies dans les attitudes effarées de tous les cuirassiers qui, sur la cime du ravin, entraînés à l’abîme par une poussée invincible, s’efforcent vainement de retenir leurs montures emportées ; au-dessus d’un groupe de chevaux roulant déjà vers le précipice, flotte encore, dressé par une main invisible, le drapeau glorieux d’Austerlitz et de Wagram, avec son aigle, aux ailes déployées, portant haut dans le ciel, mais qui va, lui aussi, dans une seconde, disparaître au fond du charnier vorace. M. Roufîet, comme exécutant, ne possède pas, par malheur, toutes les qualités qu’il possède comme compositeur; en tout cas, il n’a pas poussé son œuvre au point d’achèvement qui lui aurait donné tout son effet ; certaines parties ne sont qu’ébauchées, et les choses à peine en place, ce qui complique la confusion. La facture de M. Rouffet semble d’ailleurs être celle d’un dessinateur accoutumé à indiquer le mouvement par des touches rapides et vives, plutôt que celle d’un peintre exercé à le fixer par des accens décidés et fermes. Cette incertitude ou cette insuffisance du pinceau nuisent beaucoup à l’effet général de cette composition mouvementée.

Il n’est pas besoin, d’ailleurs, de si grands espaces pour faire preuve d’invention poétique, et, tout en rendant justice aux qualités déployées par MM. Rochegrosse, Henri Martin, Micheléna, Rouffet, dans leurs cadres énormes, nous pensons qu’ils n’eussent rien perdu à les réduire. Presque toujours, le peintre comme le poète gagne à se concentrer dans des limites plus étroites, surtout lorsqu’il se livre à des fantaisies personnelles. C’est même pour lui la meilleure façon de se préparer à courir heureusement les chances de plus grandes aventures, le jour où il se trouvera en présence d’un plafond ou d’une muraille à décorer. Il est clair alors qu’il faut subir les dimensions imposées; MM. Ferrier et J.-P. Laurens, par exemple, n’ont pas été les maîtres de rapetisser les toiles commandées pour l’ambassade de France à Berlin et pour l’Hôtel de Ville de Paris; mais, s’ils ne se montrent pas inférieurs à eux-mêmes en ces deux ouvrages considérables, c’est qu’ils y étaient depuis longtemps préparés, non-seulement par quelques travaux du même genre, mais surtout par les patientes et sérieuses études de leur jeunesse et par un long exercice du morceau achevé et serré. La Glorification des Arts, par M. Ferrier, n’affiche point la prétention de modifier les idées reçues sur les qualités que doit offrir la peinture d’un plafond dans une salle de fêtes. Comme les vieux Français et les vieux Vénitiens, M. Ferrier pense que cette