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que l’affaiblissement du métier chez les exposans comme celui du goût chez les visiteurs.

Les deux grandes corporations rivales, qui occupent, l’une le palais des Champs-Elysées, l’autre le palais du Champ de Mars, la vieille Société des artistes français, la jeune Société nationale des Beaux-Arts, toutes deux, malgré leurs titres, fort hospitalières aux étrangers, ont fait, il faut le reconnaître, de louables et heureux efforts, chacune de son côté, pour donner bon air à leurs expositions. Les organisateurs des Champs-Elysées n’ont pas voulu, cette année, être en reste avec leurs émules du Champ de Mars pour le confortable et le luxe de l’installation matérielle. Le public a tout de suite apprécié comme il convenait les améliorations réalisées : la plus sage division et l’éclairage mieux combiné des galeries, l’admission en des salles plus honorables de l’architecture, des aquarelles, des pastels et de la gravure, la décoration exemplaire, au moyen de somptueuses tapisseries, d’une salle de lecture et de repos, fort utile aux explorateurs fatigués ; mais ce qui l’a touché le plus, sans nul doute, c’est le courage qu’a enfin déployé la Société en réduisant le chiffre des admissions. Dans la plupart des salles, les peintures, moins nombreuses, ont pu être disposées sur deux rangs et, légèrement séparées entre elles, devenir toutes facilement visibles, sans avoir à souffrir, comme naguère, d’une promiscuité par trop compromettante. Il y a bien encore quelques pièces trop encombrées qui rappellent le pêle-mêle des mauvais jours, mais le plus fort est fait, et, en continuant à marcher avec énergie dans cette voie de sélection, la Société rendra un service signalé à l’art et au pays autant qu’à elle-même. Déjà, grâce à cette meilleure présentation, le Salon, du premier coup, a semblé mieux composé que les années précédentes. Il est de fait qu’on y voit plus clairement combien d’élémens variés et actifs, malgré la scission, s’y trouvent actuellement groupés, quels rapports sérieux et féconds y unissent les maîtres avec les élèves, avec quelle conscience et quelle liberté on y garde en général le respect nécessaire de l’enseignement traditionnel, tout en y joignant l’amour non moins nécessaire de la vérité présente et vivante. La secousse imprimée par les événemens de l’an dernier n’aura donc pas été inutile ; plus d’un, parmi les vieux et parmi les jeunes, a déjà fait quelque retour sur lui-même, plus d’un s’est demandé où l’on allait avec ces habitudes d’improvisation et de charlatanisme qui s’étaient si étrangement développées en ces derniers temps. Le Salon des Champs-Elysées contient, en 1891, un plus grand nombre d’œuvres sérieuses qu’il n’en offrait les années précédentes : à quelque chose malheur est bon.