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les passions du cœur pour plus d’une heure, et font entrevoir un charme attrayant dans la retraite et dans la dévotion. On est dans cette église à mille lieues du monde... »

« Mon portrait de Latour a été admirable ; nous pensions toucher à une ressemblance parfaite, tous les jours nous pensions que ce serait la dernière séance, il n’y avait qu’un rien à ajouter aux yeux. Mais ce rien ne voulait pas venir, on cherchait, on retouchait, ma physionomie changeait sans cesse ; je ne m’impatientais pas, mais le peintre se désolait, et à la fin, il a fallu effacer la plus belle peinture du monde, car il n’y avait plus ni ressemblance, ni espoir d’en donner. Cependant il recommence tous les matins et ne me quitte de tout le jour non plus que son ombre ; heureusement, il est fort aimable et raconte mille choses curieuses. Le voilà qui lit dans ma chambre à côté de moi ; je n’avais que ce moyen pour qu’il me laissât écrire. Il a fait un excellent portrait de mon oncle et vivifié celui que j’avais fait autrefois de ma mère, de sorte qu’il est charmant et me fait un plaisir infini... »

« Mme de H... sort d’ici ; elle avait un petit chapeau qui nous a fait mourir de rire... Son mari est bien heureux qu’elle ait une vertu de cinquante ans avec un chapeau de quinze; par malheur, le visage va avec la vertu et laisse le chapeau si loin en arrière, qu’on ne peut trop s’étonner de les voir ensemble... Je suis devenue d’un orgueil insupportable, depuis que Latour voit souvent Mme d’Étiole dans mon visage et la belle princesse de Rohan dans mon portrait. Depuis deux mois, il en est au second et me peint tous les matins toute la matinée, de sorte que je ne fais rien du tout que m’informer de la cour de Versailles et de toutes sortes de choses de Paris. Nous parlons aussi raison : c’est un homme d’esprit et fort honnête homme. J’ai dit le second portrait : je veux dire le second achevé ; je vous ai dit, je crois, que le premier était détruit. J’espère qu’il laissera vivre celui-ci; car, en vérité, il vit; l’effacer serait un meurtre. Sa manie, c’est d’y vouloir mettre tout ce que je dis, tout ce que je pense et tout ce que je sens, et il se tue. Pour le récompenser, je l’entretiens quasi toute la journée, et ce matin peu s’en est fallu que je ne me laissasse embrasser. »

Latour flattait son modèle en lui trouvant d’illustres ressemblances. Nous croyons pouvoir dire sans injustice que la beauté d’Isabelle avait moins de correction que de grâce piquante; elle s’est amusée à se peindre elle-même sous un nom de fantaisie, comme on faisait alors : « Vous me demanderez peut-être si Zélinde est belle, ou jolie, ou passable? Je ne sais; c’est selon qu’on l’aime ou qu’elle veut se faire aimer. Elle a la gorge belle, elle le sait, et s’en pare un peu trop au gré de la modestie. Elle n’a pas