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offre, en faisant entendre qu’il sera tout prêt à s’établir dans l’île entière quand tous les sultans l’auront appelé d’un commun accord. Pour le moment, les princes régnans et le résident se délèguent des ambassadeurs pour se rendre hommage[1], et les Européens profitent de chaque rencontre pour conseiller aux princes de modifier, dans le sens humanitaire, les châtimens terribles que réserve à des coupables la tradition brahmanique ou la tradition même du pays. Par exemple, la loi veut que les condamnés à mort soient soumis à d’affreux tourmens dans les instans qui précèdent celui de leur exécution. Ils sont exposés contre un arbre, de manière que les indigènes, présens à leur dernière heure, puissent s’amuser à les torturer à petits coups de kriss ; puis, le sultan qui préside au supplice, jugeant que ce dernier a assez duré, fait un signe de la main, et le bourreau, généralement un prêtre, achève les patiens en leur plongeant un kriss dans le cœur. Mais, sous l’effet des conseils qu’ils reçoivent des fonctionnaires, les princes régnans prennent fréquemment, au moment où le supplice va commencer, la résolution de le supprimer, et le prêtre porte immédiatement le coup de grâce.

Dans la résidence, par suite de l’autorité morale qu’il a acquise sur les prêtres et les chefs, le gouvernement est arrivé à empêcher définitivement l’application de peines traditionnelles trop barbares, et il lui est possible de corriger, dans le sens de la justice européenne, les jugemens qui lui semblent exagérés en indulgence ou en sévérité. Il y a, à proprement parler, deux tribunaux à Boeleleng : le landraad et le kerta; mais les étrangers seuls relèvent de la juridiction du premier. Celui-ci est présidé par le résident et compte, en qualité de juges, des chefs de district, le major des Chinois et le capitaine des Arabes[2] ; son code pénal est absolument distinct de celui du kerta. Quant au kerta, il a pour président un contrôleur, et ses juges, au nombre de trois, sont des prêtres. Les jugemens prononcés par le landraad sont communiqués au gouverneur-général des Indes néerlandaises, lequel les casse, s’il y a lieu. Ceux du kerta sont immédiatement soumis à l’examen du résident, qui les ratifie ou les annule ; si sa décision mécontente

  1. Bien que le malais soit la langue diplomatique, toutes les fois que le résident de Bali doit envoyer un message à un sultan ou à un chef quelconque, il le fait rédiger en balinais par M. van der Tück, et les princes et chefs ne peuvent non plus lui faire parvenir que des messages dans leur langue. Le gouvernement hollandais a établi cette règle pour que les pièces officielles ne donnassent jamais lieu au moindre malentendu.
  2. Les Chinois et les Arabes ont, à leur tête, dans la plupart des villes de Java, et à Boeleleng, un chef responsable à qui le gouvernement hollandais confère le titre de major, de capitaine ou de lieutenant.