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Pabean nous emmènera, en longeant l’île, vers le bras de mer qui sépare Bali de Java, et nous débarquera sur la rive javanaise du détroit, à Banjoewangi; puis, trois fois douze heures de charrette à travers des jungles inquiétantes, des forêts mystérieuses et sur une route de la côte que l’on dit très belle; quelques heures de chemin de fer... et nous serons revenus à notre point de départ : Soerabaia.


Ce qui peut étonner dans un séjour à Boeleleng, c’est qu’une poignée d’Européens suffise à tenir en respect la population du pays et que le caractère civil de leurs fonctions ne nécessite, auprès d’eux, la présence d’aucune troupe. Il y a, dans ce fait, un tour de force de la diplomatie hollandaise qu’il vaut la peine d’expliquer.

Dans l’île de Java[1], les Hollandais administrent librement les terres, dirigent à leur gré les cultures en vertu d’une entente avec les régens et autres chefs indigènes d’ordre inférieur auxquels ils versent en espèces sonnantes, chaque année, de gros dédommagemens. Très attaché à ses chefs, le peuple javanais les a suivis docilement sous le joug étranger. L’armée des Indes, disséminée par petites garnisons dans toute l’île, est toujours prête à réprimer les soulèvemens partiels qui pourraient se produire. Ces soulèvemens partiels sont en réalité à redouter par momens, non qu’ils témoigneraient du besoin d’indépendance du peuple, mais parce que celui-ci, rallié au mahométisme, est constamment encouragé à la révolte contre les chrétiens par les hadjis, indigènes fanatiques qui ont reçu la consécration musulmane par un pèlerinage à la Mecque. Pour prévenir les embarras que les hadjis seraient dans le cas de lui susciter, le gouvernement de Batavia exerce sur eux une surveillance active et combat leur influence par des moyens pacifiques ; il lui arrive, m’a-t-on raconté, d’essayer de les désarmer en offrant de son argent pour la construction des mosquées[2]. Le fait est que, tombé moralement au pouvoir des musulmans et civilement au pouvoir des Européens, depuis de nombreux siècles, le peuple javanais s’est amolli dans sa longue servitude et a perdu toute pensée d’indépendance.

Tout différens sont les Balinais. Ni l’essai de propagande religieuse des Arabes, ni le contact des commerçans chinois ne jetèrent jamais le moindre trouble dans leurs usages. Aussi, en arrivant à Bali, il y a une quarantaine d’années, les Hollandais y

  1. Excepté dans les sultanies de Soerakarta et de Djocjakarta qui ont conservé presque toute leur autonomie.
  2. Plusieurs Hollandais m’ont contesté cet enseignement.