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petits porcs noirs ; on voit de ces animaux à Bail partout où il y a des habitations. — A l’entrée de la grande rue, se dresse la porte monumentale d’un temple, puis, de droite et de gauche, se détachent quelques ruelles qui mènent à des quartiers retirés. Dans l’une d’elles, à la porte d’un mur d’enceinte, se tient un vieillard. Il est maigre, de haute taille, légèrement voûté ; une tresse de cheveux gris enroulée sur le haut de la tête contribue, avec une longue chemise flottante et un sarrong qui lui serre les jambes à la façon d’une jupe étroite, à lui donner l’apparence d’une vieille femme. C’est le prêtre. Averti de notre visite, il est venu nous recevoir. De la porte, surgit à nos yeux, à côté de nombreuses habitations en pierre, un groupe de maisonnettes de planches construites sur pilotis. Le vieillard nous fait monter dans l’une de ces dernières dont un rideau de grosse toile, aux trois couleurs brahmaniques, ferme l’entrée. On songe, à la vue de cette portière mystérieuse, aux baraques où se dit la bonne aventure dans les foires d’Europe. Le rideau tiré, une table nous apparaît, et sur la table, une nappe en papier, des noix de coco et des verres. Le prêtre nous invite à prendre place sur des sièges de bois blanc, puis un de ses fils qu’il nous présente, robuste gaillard d’une quarantaine d’années, éventre à coups de hache les cocos. Assis devant nous, notre hôte, dont le visage sourit avec bonté, nous contemple d’un regard qui exprime de l’étonnement tandis que nous parlons français avec le fonctionnaire. Peut-être saisit-il une différence entre la sonorité de notre langue et celle de la langue hollandaise qu’il a souvent l’occasion d’entendre. Des habitations environnantes, sont accourus devant la porte les enfans et petits-enfans du prêtre, et ils sourient tous aussi, avec la même expression de surprise. Le vieillard pose des questions sur notre voyage au fonctionnaire, il lui demande d’où nous venons, plutôt de quel endroit de Djava, dans quel dessein nous voyageons, où nous irons. Le mot frenzman (Français en malais) semble éveiller dans sa mémoire un souvenir lointain. Peut-être un son lui sera-t-il venu en 1870 qu’une famille d’hommes, les Frenzman, faisait la guerre à une autre famille d’hommes, là-bas, dans l’étendue vague des terres de Djava. Il veut en savoir davantage et s’informe du nombre d’habitans que compte le pays des Frenzman. Le fonctionnaire lui répond que ce pays est habité par trente-six fois plus d’hommes que Bali; mais le prêtre, qui ne peut s’imaginer qu’il existe un pays plus peuple que le sien, secoue la tête en riant, puisse tournant vers sa famille, il prononce en balinais quelques mots qui provoquent une longue gaîté. — A notre départ, le vieillard nous reconduit jusqu’à la route, nous souhaite un heureux retour à Djava et nous regarde nous éloigner.