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La danse de Gitgit et l’exhibition de la Chimère sont des représentations populaires qui ne demandent pas de longs préparatifs et que le peuple peut aisément s’offrir et offrir à ses hôtes. Pour ce soir, on nous a promis, comme le plat de résistance pour la fin, un spectacle de danses d’un caractère moins impromptu et tel qu’il s’en donne, dans les grandes occasions, à la cour des princes balinais.

A neuf heures, par une claire nuit d’étoiles, nous sortons de la résidence avec M. Dannenbargh, derrière qui un opas porte le pallion. Le paillon est un grand parasol qui sert d’emblème aux fonctions de résident et à plusieurs grades indigènes. — La salle des danses, nommée pendoppo, se trouve à Singaradja même. Le type de ces salles nous est connu : grand édifice carré ouvert aux quatre vents, toiture de tuiles, piliers massifs, base en maçonnerie. Nous avons vu beaucoup de pendoppos à Java; ils appartenaient tous à des princes ou à des régens ; ils étaient presque tous très luxueux, dallés de marbre et éclairés le soir à giorno. Celui de Boeleleng est rustique ; il a reçu pour la circonstance un lourd décor de guirlandes de palmes piquées de fleurs; sur les piliers brûlent des lampes à huile qui ne répandent pas une bien vive clarté. Des fauteuils et des chaises destinés aux Européens et à des personnages indigènes font demi-cercle. A notre arrivée, le peuple est massé aux alentours, respectueusement, sans rumeurs; de l’intérieur, il apparaît, dans la nuit claire, en gradins de têtes et de poitrines nues. Derrière plusieurs rangs de femmes accroupies se tiennent debout des enfans ; derrière les rangs d’enfans, des hommes et des femmes encore. Assises sur des chaises, quatre petites danseuses, immobiles comme des statues, étranges comme des idoles, attendent que le spectacle puisse commencer. Leurs costumes sont les mêmes à peu de chose près : un sarrong clair à reflets soyeux, une écharpe de couleur sombre qui chatoie autour de leur taille mignonne et flotte des deux bouts sur le côté; des colliers de fleurs et de pierres précieuses; une coiffure de roses en forme de tiare et d’un parfum pénétrant. — Elles se lèvent aux premières vibrations du gamelan et viennent, à pas très lents, se disposer, au centre du pendoppo, en une figure carrée ; puis, sans que cette figure se déforme un instant, la danse évolue en attitudes fuyantes qui sont empreintes d’une grâce tout hiératique. Les mouvemens des quatre petites danseuses sont parfaitement les mêmes. A voir leurs visages impassibles, leurs regards figés entre les paupières, on dirait des êtres automatiques, des idoles mouvantes. Et le tableau d’ensemble oscille mystérieusement dans la clarté jaune des lampes, avec lenteur, en cadence, comme berce