Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de lumière, débordent, dans le vide, les épaisses chevelures de la forêt, qui recommence là-haut.

Nous redescendons vers le village. Sur la côte herbeuse montent des indigènes qui nous adressent, sans s’arrêter, quelques paroles. Je crois que c’est un salut. Mais, non, ils nous annoncent qu’un spectacle s’organise en notre honneur à Gitgit. En effet, à notre arrivée, les habitans se pressent autour du jardin du passangrahan et jusque dans le jardin, où attendent les musiciens d’un gamelan ou orchestre indigène, et un jeune garçon si efféminé de figure et de costume qu’on dirait une jeune fille.

Le fait est que tout à l’heure cet enfant tiendra le rôle d’une danseuse. Il porte une lourde coiffure de roses blanches ; des colliers, faits de fleurs variées, lui couvrent la poitrine ; un sarrong clair à ramages, retenu sur ses hanches par une écharpe de couleur foncée, descend jusqu’au-dessous de ses genoux. Le visage immobile, il est assis sur le sol, les jambes pliées et croisées ; en arrière, sur deux rangs, au long d’une haie, sont accroupis de même les musiciens du gamelan ; le torse nu, ils ont devant eux des instrumens de deux genres principaux : assemblage de gongs placés horizontalement sur des cordes tendues, sortes d’harmonicas à lames de métal, et ils tiennent dans les mains de petits marteaux enveloppés à leur extrémité de drap ou de caoutchouc. Au moment où, frappés par les petits marteaux, gongs et touches métalliques entrent en vibration, l’enfant se lève, s’avance, et le spectacle commence. — La danseuse mime alors un rôle de scène d’amour, en mouvemens très lents et très articulés des jambes, des bras et des mains... L’un après l’autre, de jeunes indigènes, en simple sarrong, se détachent des groupes qui regardent et, pendant quelques minutes chacun, figurent des prétendans. Sur la pointe des pieds, les jambes légèrement écartées et les bras à peu près étendus en croix, ils exécutent un gracieux balancement des hanches. Au moyen de cette seule mimique, ils expriment leurs hommages à la danseuse, lui font une déclaration d’amour, poursuivant d’un déplacement continu son regard fixe sans cesse détourné par de fuyantes attitudes. Et les sous métalliques du gamelan s’entremêlent, tantôt bruyans, tantôt plus doux, nuançant les divers momens de la scène. La percussion d’un petit marteau sur un gong suspendu marque la mesure, par instans la précipite, par instans la ralentit. Ce spectacle est monotone peut-être, mais il porte une empreinte à la fois hiératique et sauvage qui le fait savourer infiniment. La danse, l’accompagnement de gamelan tout en sonorités de cloches et de clochettes, le village à toits de chaume dans lequel se presse une population demi-nue et de couleur sombre, l’étendue de la côte où brillent des gradins de