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dont l’attitude méditative évoque un Bouddha ; sur une autre porte, Vichnou sur Garouda et, lui faisant pendant, Ravana sur un animal étrange. Mais ce sont des exceptions. À défaut de figures de dieux, même d’animaux sur la façade, des Racsaças montent toujours la garde au pied du monument ; leur présence suffit, dans la pensée de l’indigène, à préserver le temple de l’invasion des démons. Je me rappelle, à ce propos, que le directeur du musée de Batavia eut l’heureuse inspiration de placer un Racsaça à l’entrée d’une salle remplie d’objets d’une immense valeur ; le monstre est, à lui seul, une meilleure garantie contre la cupidité indigène que les fenêtres grillées et les parois blindées de cette salle contre la cupidité européenne, car le Javanais n’aurait pas le courage de commettre un vol sous les regards terribles du gardien de pierre.

Les battans de la porte monumentale ouvrent sur une vaste cour. Dans celle-ci, le long des murs, sont alignées de petites constructions de plusieurs sortes : longues toitures de chaume, qui servent à abriter des offrandes de fleurs et de riz ; maisonnettes à claire-voie (les autels), élevées sur un dé de maçonnerie et dans lesquelles on entrevoit un siège vide ; niches de pierre qui renferment des statuettes ; petits sanctuaires en planches, cadenassés et barbouillés de figures… Dans beaucoup de temples, une nouvelle porte monumentale se dresse au fond de la cour, et donne accès sur une seconde cour. Partout, dans chaque enceinte, des statuettes et des images peintes ; mais ce sont bien plus des illustrations de poèmes balinais ou hindous que des représentations de divinités. Il n’existe, à proprement parler, aucune idole à laquelle on adresserait des prières ; la preuve en est que les autels n’exhibent aucun dieu sur leurs sièges laissés volontairement vides. Où donc, vers quels dieux invisibles, vont les prières de ce peuple qui s’est bâti des temples si nombreux ?

On ne peut dire exactement à quel moment, sous l’influence de Java, l’hindouisme pénétra à Bali. Peut-être fut-ce bientôt après l’année 68 de notre ère, date à laquelle remontent l’établissement des premiers Hindous à Java et la formation du kawi. Depuis lors, en tout cas, l’île de Bali ne fut plus jamais un terrain propice aux propagandes religieuses. Le bouddhisme pur n’y fit, à proprement parler, pas d’adeptes. Il existe bien deux mille bouddhistes environ dans deux villages des montagnes, mais ce seraient plutôt les descendans d’émigrés de l’Inde qui avaient cherché refuge à Bali pour avoir été persécutés dans leur patrie. — Les Arabes, malgré une grande activité qu’ils déployèrent sur les côtes, n’arrivèrent à rallier au mahométisme que quelques milliers de natifs. — Plusieurs missionnaires chrétiens essayèrent, à leur tour, d’introduire le christianisme dans l’île. Après quelques années d’efforts