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colonnes qui aboutissent à deux chalets identiques. C’est la résidence.

Les deux chalets sont mis à notre disposition. Ils portent sur le devant une vérandah d’où l’on voit la mer étinceler dans une large échappée entre les arbres, et les indigènes, à demi vêtus, aller et venir sur la route du pas léger de leurs pieds nus.

Silence mélancolique ; l’air ne vibre que de lumière quand, de quart d’heure en quart d’heure, éclate dans le jardin le son clair d’une petite cloche en fonte dont un opas vient, de la main, ébranler le battant ; puis le quartier indigène avoisinant fait retentir une cloche de bois qui répète l’heure frappée ; puis c’est, dans les quartiers suivans et sur toute la côte, une répercussion de coups secs qui finit par s’évanouir dans le lointain. J’ai déjà entendu les cloches de bois à Java; elles consistent en troncs d’arbres creusés et suspendus que l’on frappe avec de grands maillets. Elles servent aussi à donner l’alarme en cas d’incendie et en cas d’amok, c’est-à-dire lorsqu’un indigène, entré subitement en fureur, le plus souvent sous l’effet de l’opium, parcourt les rues, affolé, et devient un danger public. Pour l’incendie, on sonne le tocsin à coups très lents ; pour l’amok, à coups précipités.


9 avril.

Premier réveil à Bali. Nous devons sortir tout à l’heure. Un jeune fonctionnaire, secrétaire de la résidence, nous a proposé hier de nous conduire ce matin, dès le lever du soleil, chez un vieux savant hollandais, M. van der Tück, qui habite Boeleleng depuis plus de dix ans. Européen, paraît-il, converti aux mœurs balinaises, ce savant adore son île, porte habituellement le sarrong et a élu domicile en pleine ville indigène.

Nous voici bientôt gravissant un chemin caillouteux, bordé des deux côtés de murailles d’enceinte d’où émergent des faîtes en chaume et en écorce. Par places débouche, des murs pleins, une chaussée également encaissée, très roide et formée de pavés ronds mal assujettis, éboules en grand nombre. Voici qu’à main droite la muraille cesse brusquement pour reprendre plus loin. Dans l’intervalle, à l’intérieur d’une clôture basse, ajourée, ouvrant sur la route, se drosse, semblable à un énorme tombeau isolé, une porte monumentale à fronton aigu, découpé de gradins à corniches, hérissé et ciselé d’une ornementation légère. C’est la porte d’un temple qui s’étend, en arrière, à ciel ouvert. Dans la façade, à quelques marches du sol, est pratiquée une entrée que ferment deux battans de bois ouvragé. Sur tout cela, point de figures de