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plus ou moins chez les différentes nations de l’Europe et qui est en opposition avec la culture classique, telle qu’elle a été comprise au moyen âge, à la Renaissance, au XVIe , au XVIIe et au XVIIIe siècle. Le même courant d’idées, quoique parti d’un point opposé de l’horizon politique, règne également chez nous. L’empereur d’Allemagne veut qu’on élève la jeunesse dans la conviction de la nécessité de la forme monarchique, dans une juste défiance des faux principes de la Révolution française et dans le sentiment des bienfaits dont l’Allemagne est redevable à la dynastie des Hohenzollern. D’autres réformateurs demandent chez nous que l’histoire de France, et particulièrement celle du XIXe siècle, prenne la place de l’histoire ancienne, et que, le français étant partout substitué à l’antiquité, nos enfans soient de bonne heure imprégnés des idées démocratiques modernes.

Des deux côtés, c’est le même esprit. Dans ces tendances qui se produisent d’une manière indépendante chez les deux nations et dont les symptômes se retrouvent encore sur d’autres points de l’Europe, on ne saurait méconnaître la suite d’une évolution qui remonte déjà à deux siècles, et qui, si contestables qu’en soient les conséquences extrêmes, mérite toute l’attention du législateur. Au fond, c’est la même évolution qui a produit les littératures modernes et les nations modernes. Les gouvernemens feront sagement de donner satisfaction à ces tendances, en multipliant les types d’instruction, non qu’il faille de prime abord les mettre sur le même rang et proclamer une équivalence qui a besoin d’être justifiée par les résultats, mais il est certain que la société moderne est trop variée et que le nombre des jeunes gens appelés au privilège de l’instruction est trop considérable pour que l’école unique, telle qu’elle a subsisté au moyen âge et au XVIIe siècle, puisse suffire.

On a tort, pour déprécier ce mouvement, de prononcer les grands mots d’utilitarisme et de satisfaction donnée aux intérêts matériels. A prendre ces airs de supériorité, que gagne-t-on? C’est que les représentans de l’instruction nouvelle finissent par avoir honte eux-mêmes d’être des utilitaires et qu’ils changent en un enseignement littéraire de valeur douteuse l’enseignement pratique et utile qu’ils donnaient.

Ces réserves faites, nous croyons que de longtemps encore l’éducation au moyen des langues anciennes conservera le premier rang. S’il y a jamais des nations de l’Europe qui soient disposées à y renoncer, nous n’avons aucun intérêt à les suivre, encore moins à les précéder dans cette voie. Le jour où l’éducation latine disparaîtrait, personne n’y perdrait autant que la France, qui, par sa langue, par ses lois, par sa littérature, par ses arts, par sa religion, par mille autres liens, tient de si-près à Rome. Ce serait pure