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des ouvrages écrits dans la langue maternelle ressemble à une promenade dans un musée; la traduction d’une langue dans l’autre ressemble à la copie d’un tableau : l’une fait des amateurs, l’autre des artistes[1]. »

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner en détail cette doctrine, dont, je le répète, je suis loin de contester la vérité. Mais il faut convenir que cette manière un peu abstraite de présenter les choses n’était guère de nature à frapper l’opinion du dehors. Quelques hommes éminens dans l’étude de l’antiquité, capables d’en renouveler la connaissance, comme la France en avait produit au XVIe siècle, ou comme l’Allemagne en allait produire bientôt, un Scaliger, un Winckelmann, auraient plus fait pour la considération des études classiques que ces argumens peu accessibles à la foule. Le collège, qui a raison de défendre ses maximes et ses pratiques, se trompe quand il croit pouvoir dédaigner tout le reste. Les découvertes de la science lui sont plus utiles qu’il ne suppose.

La parole, au XVIIIe siècle, est aux adversaires. Il suffit de nommer l’abbé de Saint-Pierre, Condillac, Rousseau. Ce dernier, dans son Emile semble ignorer l’existence d’une tradition : Emile est instruit par son précepteur, par des passans, par des bateleurs de la foire. Mais de professeurs, mais de collège, mais de grec et de latin, il n’est pas plus question que s’il était élevé en un pays sans passé et sans histoire.

Cependant, à l’intérieur des écoles, l’instruction classique continua de régner, jusqu’au jour où la révolution fit tout disparaître. Puis l’Université impériale rétablit le type d’avant 1789, en y ajoutant un certain nombre d’enseignemens nouveaux, et grâce à son système de centralisation et d’uniformité, le répandit partout. Nous n’avons pas en ce moment à poursuivre cette histoire : il nous faut maintenant quitter la France et nous transporter de l’autre côté du Rhin.


III.

C’est en Allemagne que prend naissance la troisième des périodes que nous avons distinguées. On peut la faire partir du dernier tiers du XVIIIe siècle, et si l’on veut une date exacte, de 1767, époque du premier livre de Herder. Ceci demande quelques explications.

L’Allemagne avait passé par les mêmes destinées que la France. Elle avait eu le moyen âge, moins brillant peut-être, moins fécond

  1. Alfred Fouillée, l’Enseignement au point de vue national.