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dont les personnes sont toutes perceptibles aux sens, Marie, Joseph et Jésus. Depuis le dogme de l’immaculée-conception, la Vierge est montée à une hauteur extraordinaire; son époux l’a suivie dans son élévation[1] ; entre eux est leur fils, enfant ou homme; c’est la sainte-famille[2]. Aucun culte n’est si naturel et si attrayant pour des célibataires chastes, en qui flotte perpétuellement un rêve indistinct et pur, le rêve d’une famille constituée sans l’intervention du sexe. Aucun culte ne fournit à l’adoration tant d’objets précis, tous les actes, événemens, émotions et pensées de trois vies adorables, depuis la naissance jusqu’à la mort et au-delà jusqu’aujourd’hui. La plupart des instituts religieux fondés depuis quatre-vingts ans se vouent à la méditation d’une de ces vies, considérée dans un de ses momens ou caractères, pureté, charité, compassion ou justice, conception, nativité, enfance, présence au temple, à Nazareth, à Béthanie, au calvaire, passion, agonie, assomption, apparition en telle circonstance, en tel endroit, et le reste. Sous saint Joseph seul, sous son nom et son patronage, il y a maintenant en France 117 congrégations et communautés de femmes. Parmi tant d’appellations qui sont des consignes spéciales et résument les préférences particulières d’un groupe dévoué, il est un nom significatif : 79 congrégations ou communautés de femmes se sont données au cœur de Marie ou de Jésus ou aux deux ensemble[3]. De cette façon, par-delà la dévotion bornée qui s’attache à l’emblème corporel, la piété tendre poursuit et atteint son but suprême, qui est l’entretien silencieux de l’âme, non pas avec l’Infini vague, avec la Toute-Puissance indifférente qui agit par des lois générales, mais avec une personne, avec une personne divine, qui a revêtu l’humanité et ne s’en est pas dépouillée, qui a vécu, souffert, aimé, qui aime encore, qui, glorifiée là-haut, accueille là-haut les effusions de ses fidèles, et répond à l’amour par l’amour.

Tout cela est inintelligible, bizarre ou même choquant pour le grand public, et plus encore pour le gros public. Dans la religion, il ne voit que ce qui est très visible, un gouvernement; et, du gouvernement, il en a déjà plus qu’assez, au temporel, en France ;

  1. Manrèze du prêtre, par le P. Caussette, II, 419 : « Puisque j’ai remis une de vos mains dans celles de Marie, laissez-moi remettre l’autre dans celles de saint Joseph;.. Joseph, dont les prières sont au ciel ce qu’elles furent sur la terre, des commandemens pour Jésus; oh! quel sublime patron et quel puissant patronage!. Joseph, associé à la gloire de la divine paternité;.. Joseph, comptant vingt-trois rois parmi ses ancêtres. » — Il y a maintenant, dans l’année, à côté du mois consacré au culte de Marie, un mois consacré au culte de saint Joseph.
  2. État des congrégations, etc. (1876). Onze congrégations ou communautés de femmes sont vouées à la Sainte-Famille et dix-neuf autres à Jésus-Enfant ou à l’Enfance de Jésus.
  3. Une d’elles a pour titre : « Augustines de l’intérieur de Marie; » une autre s’est vouée « au Cœur agonisant de Jésus. »