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y avait une insuffisance. Selon le droit romain, il n’était que le représentant du peuple; la communauté en corps lui avait délégué tous ses droits ; mais l’omnipotence ne résidait qu’en elle. Selon le droit canon, l’omnipotence ne réside qu’en Dieu ; ce n’est pas la communauté catholique qui la possède et la délègue au pape[1], ses droits lui viennent d’une autre source, et plus haute. Il n’est pas l’élu du peuple, mais l’interprète, le vicaire et le représentant de Jésus-Christ.


III.

Voilà donc aujourd’hui l’Église catholique, un État construit sur le type du vieil empire romain, indépendant et autonome, monarchique et centralisé, ayant pour domaine, non des territoires, mais des âmes, partant international, sous un souverain absolu et cosmopolite dont les sujets sont aussi les sujets de divers autres souverains qui sont laïques. De là, pour l’Église catholique, en tout pays, une situation à part, plus difficile que pour les églises grecques, slaves ou protestantes; en chaque État, ces difficultés varient avec le caractère de l’État et avec la forme que l’Église catholique y a reçue. En France, depuis le Concordat, elles sont plus graves qu’ailleurs.

En effet, quand, à l’origine, en 1802, elle reçut sa forme française, ce fut dans un ensemble et dans un système, en vertu d’un plan général et régulier, d’après lequel elle ne fut qu’un compartiment dans un cadre. Par son Concordat, par ses articles organiques et par ses décrets ultérieurs, Napoléon, conformément aux idées du siècle et aux principes de l’Assemblée constituante, voulut faire de tout clergé, et notamment du clergé catholique, une subdivision de son personnel administratif, un corps de fonctionnaires, simples agens préposés aux choses religieuses, comme d’autres aux choses civiles, partant, maniables et révocables; de fait et sous sa main, tous l’étaient, y compris les évêques, puisque, sur son ordre, ils donnaient à l’instant leur démission. Aujourd’hui encore, sauf les évêques, tous le sont, ayant perdu la propriété de leurs places et l’indépendance de leurs vies, par le maintien des institutions consulaires et impériales, par l’amovibilité, par l’anéantissement des garanties canoniques et civiles qui protégeaient autrefois le bas clergé, par l’effacement de l’officialité, par la réduction des chapitres à l’état d’ombres vaines, par la rupture ou le relâchement du lien local et moral qui jadis attachait tout membre

  1. Prœlectiones juris canonici, I, 101. « La puissance remise à Pierre et aux apôtres est tout à fait indépendante de la communauté des fidèles. »