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Carmélites, Clarisses, Filles du Cœur de Jésus, Réparatrices, Sœurs du Saint-Sacrement, Visitandines, Franciscaines, Bénédictines et autres semblables, environ 4,000 religieuses sont des contemplatives. Chartreux, Cisterciens, Trappistes et quelques autres, environ 1,800 religieux, qui, pour la plupart, travaillent surtout à la terre, ne s’imposent le travail que comme un exercice accessoire ; c’est la prière, la méditation, l’adoration, qui est leur objet principal et premier; eux aussi, ils emploient leur vie à la contemplation de l’autre monde, non au service de celui-ci. Mais tous les autres, plus de 28,000 hommes et plus de 123,000 femmes, sont des bienfaiteurs par institution et des corvéables volontaires, voués par leur propre choix à des besognes dangereuses, répugnantes, et tout au moins ingrates : missions chez les sauvages et les barbares, soins aux malades, aux idiots, aux aliénés, aux infirmes, aux incurables, entretien des vieillards pauvres ou des enfans abandonnés, œuvres innombrables d’assistance et d’éducation, enseignement primaire, service des orphelinats, des asiles, des ouvroirs, des refuges et des prisons ; le tout gratuitement ou à des prix infimes, par la réduction au minimum des besoins physiques et de la dépense personnelle de chaque religieux ou religieuse[1]. Manifestement, chez ces hommes et chez ces femmes, l’équilibre ordinaire des motifs déterminans s’est renversé ; dans leur balance interne, ce n’est plus l’amour de sol qui l’emporte sur l’amour des autres, c’est l’amour des autres qui l’emporte sur l’amour de soi. — Regardons un de leurs instituts au moment où il se forme, et nous verrons comment la prépondérance passe de l’instinct égoïste à l’instinct social. Toujours, aux origines de l’œuvre, on rencontre d’abord la compassion ; à l’aspect de la misère, de l’abrutissement, de l’inconduite, quelques bons cœurs se sont émus ; des âmes ou des corps étaient en détresse, il y avait un naufrage en vue; trois ou quatre sauveteurs se sont présentés. Ici, à Rouen, en 1818, c’est une pauvre fille qui, sur le conseil de son curé, réunit quelques amies dans son grenier; le jour, elles y font une classe, et la nuit, elles travaillent pour gagner leur pain ; aujourd’hui, sous le nom de Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus, elles

  1. Emile Keller, Ibid., passim. — Dans plusieurs communautés d’hommes et de femmes, la dépense personnelle de chaque membre ne dépasse pas 300 francs par an; chez les trappistes à Devielle, ce chiffre est un maximum. — Si l’on estime à 1,000 fr, par tête, ce qui est au-dessous du chiffre réel, la valeur du travail utile effectué par les 160,000 religieux et religieuses des instituts actifs, le total est de 160 millions par an ; si l’on évalue à 500 francs par tête la dépense de chaque religieux ou religieuse, le total est de 80 millions par an. Bénéfice net pour le public, 80 millions par an.