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bras séculier et réprimer leur insubordination par la contrainte physique. Rien de tout cela ne subsiste après la grande destruction de 1790 ; sous le régime moderne, si quelqu’un entre et reste au couvent, c’est que le couvent lui plaît mieux que le monde; nul autre motif, aucune impulsion ou répression d’espèce inférieure et différente, contrainte directe ou indirecte, domestique ou légale, ambition, vanité, paresse innée ou paresse acquise, satisfaction certaine de la sensualité grossière et bornée. Ce qui opère maintenant, c’est la vocation naissante et persistante; l’homme ou la femme, qui prononce des vœux et les observe, ne contracte et ne tient son engagement que par un acte spontané, délibéré et incessamment renouvelé de son libre arbitre.

Ainsi épurée, l’institution monastique revient à sa forme normale ; c’est la forme républicaine et démocratique, et l’utopie impraticable, que les philosophes du XVIIIe siècle voulaient imposer à la société laïque, devient le régime effectif sous lequel vont vivre les communautés religieuses. Dans toutes, les gouvernans sont élus par les gouvernés ; que le suffrage y soit universel ou restreint, tout vote en vaut un autre, les voix sont comptées par tête, et, à des intervalles périodiques, la majorité souveraine use à nouveau de son droit; chez les Carmélites, c’est tous les trois ans, et pour nommer au scrutin secret, non pas une seule autorité, mais toutes les autorités, la prieure, la sous-prieure et les trois clavières[1]. — Une fois nommé, le chef, conformément à son mandat, reste un mandataire, c’est-à-dire un travailleur chargé d’une besogne, et non un privilégié gratifié d’une jouissance; sa dignité n’est pas une dispense, mais une surcharge ; à travers les obligations de son office, il s’assujettit aux observances de la règle : devenu général, il n’a pas plus de bien-être que le simple soldat ; son lever est aussi matinal, son ordinaire n’est pas meilleur, sa cellule est aussi nue; son entretien personnel n’est pas plus dispendieux. Tel qui

  1. Voici quelques autres exemples. Chez les Filles de Saint-Vincent de Paule, le supérieur des Prêtres de la Mission propose deux noms, et toutes les sœurs présentes à Paris choisissent entre ces deux noms, à la pluralité des voix. Les supérieures locales sont désignées par le Conseil des sœurs qui réside toujours à la maison mère. — Chez les Frères des Écoles chrétiennes, sur la convocation faite par les assistans en exercice, un chapitre général se réunit à Paris, rue Oudinot, 27. Ce chapitre, élu par tous les profès de l’ordre, comprend 15 directeurs des principales maisons et 15 frères anciens ayant au moins quinze ans de profession. Outre ces 30, les assistans en fonctions ou démissionnaires et les visiteurs des maisons font, de droit, partie du chapitre, lequel comprend au moins 72 membres. Ce chapitre nomme le supérieur général pour dix ans; celui-ci est rééligible; il nomme pour trois ans les directeurs des maisons: il peut proroger leurs pouvoirs ou les relever de leurs fonctions. — Chez les Chartreux, l’élection du supérieur général est faite par les religieux profès de la Grande-Chartreuse, qui s’y trouvent au moment de la vacance. Ils votent par bulletins cachetés et non signés, sous la présidence de deux prieurs qui eux-mêmes ne votent pas.