Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu près semblables; sa condition, ses appointemens[1], sa table, ses habits, son ameublement, ses mœurs extérieures le rangent, au village, à côté de l’instituteur et du receveur de la poste ; dans le gros bourg ou la petite ville, à côté du juge de paix et du professeur de collège; dans les grandes villes, à côté du chef de bureau et du chef de division; à Paris, dans telle paroisse, à côté du préfet de police et du préfet de la Seine[2]. Même dans la plus humble cure, il émarge chaque mois au budget, il dispose de tout son argent sans consulter personne ; hors ses heures de service, toutes ses heures sont à lui : il peut dîner chez autrui, commander au logis tel plat pour sa table, s’accorder des douceurs ; s’il n’a pas toutes ses aises, il en a quelques-unes, et aussi, comme un fonctionnaire laïque, l’envie de faire son chemin, le désir d’être promu à une meilleure cure, de devenir inamovible, d’être nommé chanoine, quelquefois l’ambition de monter plus haut, très haut, aux premiers grades. Par toutes ces pensées mondaines, le monde le tient ; il y est trop engagé pour s’en détacher tout à fait ; le plus souvent, parmi tant de préoccupations terrestres, sa vie spirituelle languit ou avorte. — Si le chrétien veut se procurer l’alibi et habiter dans l’au-delà, il lui faut un autre régime, un abri contre deux tentations, c’est-à-dire l’abdication de deux libertés dangereuses, l’une qui est le pouvoir par lequel, étant propriétaire, il dispose à son gré des choses qui lui appartiennent, l’autre qui est le pouvoir par lequel, étant maître de ses actes, il dispose à son gré de ses occupations quotidiennes. A cet effet, au vœu de continence que prononce aussi le prêtre séculier, le religieux ajoute deux autres vœux distincts et précis. Par le vœu de pauvreté, il renonce à la propriété, du moins à celle qui est pleine et complète[3], à l’usage arbitraire de son bien, à la jouissance personnelle de sa chose, ce qui le conduit à vivre en pauvre, à se priver, à peiner, puis au-delà, jusqu’à jeûner, se macérer, contrarier et détruire en soi-même tous les instincts par lesquels l’homme répugne à la souffrance corporelle et se porte vers le bien-être physique.

  1. Budget de 1881 : 17,010 desservans des succursales ont 900 francs par an; 4,500 ont 1,000 francs; 9,492 ayant soixante ans et au-dessus ont de 1,100 à 1,300 francs. 2,521 curés de 2e classe ont de 1,200 à 1,300 francs; 850 curés de 1re classe ou assimilés ont de 1,500 à 1,600 francs; 65 curés archiprêtres ont 1,600 francs et celui de Paris a 2,400 francs ; 709 chanoines ont de 1,600 à 2,400 francs; 193 vicaires généraux ont de 2,500 à 4,000 francs, — l’abbé Bougaud, le Grand péril, etc., p. 23. Dans le diocèse d’Orléans, qui peut être considéré comme un type moyen, le casuel, y compris les honoraires pour messes, est de 250 à 300 francs par an, ce qui porte le traitement d’un desservant ordinaire à 1,200 francs environ.
  2. On estime à 40,000 francs par an le casuel du curé de la Madeleine. Le préfet de police a 40,000 francs par an et le préfet de la Seine, 50,000 francs.
  3. Prœlectiones juris canonici, II, 264 à 267.