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le Sénat. C’est le bilan de cette fatidique journée du 1er mai, à Rome et en Italie : on en a été quitte pour une tentative d’anarchie dont le gouvernement a eu facilement raison !

Ce n’est, à vrai dire, qu’un intermède dans les affaires du ministère italien, et une des plus graves questions que le gouvernement du roi Humbert ait à résoudre aujourd’hui est celle qui occupait justement la chambre au moment où est survenue l’échauffourée du 1er mai, la question de la politique africaine. Que veut et que peut faire l’Italie dans cette colonie qu’elle s’est créée sur les bords de la Mer-Rouge, à Massaouah, qu’elle a voulu un instant étendre à l’intérieur par le protectorat négocié avec le négus d’Abyssinie ? La dangereuse et coupable erreur de M. Crispi, tant qu’il a été au pouvoir, a été de jouer avec cette décevante question, de faire illusion à l’Italie avec le mirage de l’empire d’Erythrée, de cacher les difficultés qu’il rencontrait, les dépenses dans lesquelles il entraînait son pays. Il visait à la grandeur, il s’est peut-être abusé lui-même et, à coup sûr, il a abusé ses compatriotes en se mettant de plus dans l’obligation de dissimuler les plus tristes faiblesses de son administration coloniale. Le mérite du nouveau ministère, de son chef le marquis di Rudini, a été dès son avènement de ne rien déguiser, de dire ou de laisser paraître toute la vérité. Il a courageusement publié un « Livre vert » qui dévoile tout ce qu’on avait caché jusqu’ici, qui précise les faits sans subterfuge. Il a ouvert une enquête qui se poursuit en ce moment ; il a laissé toute liberté aux témoignages, et, à la lumière des révélations qui se succèdent depuis quelque temps, on a pu voir ce qui en est. On a découvert des incidens comme ces exactions et ces violences qui ne sont pas encore complètement éclaircies, où seraient compromis des officiers, des administrateurs. On s’est aperçu que ce protectorat de Menelik n’était qu’une fiction, que cette extension de puissance coloniale que M. Crispi faisait luire aux yeux des Italiens ne serait qu’une duperie ou un danger permanent. S’il y a eu des illusions depuis quelques années, la déception est venue, elle est assez amère. Il s’agit aujourd’hui de débrouiller cette étrange affaire, de redresser et de préciser, ou de limiter la politique de l’Italie en Afrique. C’est là, précisément, l’objet de la discussion assez passionnée, parfois même violente, engagée depuis quelques jours dans le parlement de Rome.

Qu’il y ait encore des partisans de M. Crispi obstinés à défendre sa politique, on n’en peut douter, quoiqu’ils paraissent peu nombreux. Que, d’un autre côté, des hommes à l’imagination ardente, comme M. Imbriani, tracent les plus sombres peintures de ce qui s’est passé à Massaouah, de la situation faite à l’Italie en Afrique, et poussent leurs accusations jusqu’à l’exagération, cela se peut. Les deux opinions extrêmes se sont trouvées, depuis quelques jours, en présence dans une discussion qui a été par instans assez tumultueuse. Entre ceux qui